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plaisirs de son âge. A treize ans, il fut admis dans les ateliers de maître Valentin, sculpteur du prince de Waldeck. Après cinq ans d’apprentissage, le jeune élève, affranchi de cet engagement, éprouva le plus vif désir de se produire sur un plus grand théâtre. Son père consentit à l’envoyer à Cassel pour continuer ses études sous la direction du célèbre Rulh, son ami, à qui il le recommanda. À la vue des importants travaux qui s’exécutaient dans les ateliers de son nouveau maître, Christian fut transporté d’ardeur ; de prompts et surprenants progrès lui méritèrent l’honneur de coopérer, dans une certaine mesure, aux travaux dont Rulh était chargé. Dans cet élan d’un génie qui se développait, Christian fut tout à coup interrompu par la douloureuse nouvelle de la mort de son père. Il ne pouvait plus rester à Cassel, sa mère l’attendait à Berlin. Il partit, et ce fut avec un cœur bien affligé qu’il se vit contraint d’accepter un modeste emploi de valet de chambre de la cour, dans le service du roi et de la reine. Toutefois, l’amour qu’il ressentait pour son art ne se refroidit pas, malgré les obstacles qu’y apportait sa nouvelle position. Un jour, tandis qu’il modelait un buste avec une application extrême, il aperçoit la reine Louise, qui, sans manifester sa présence, considérait avec attention son travail : Rauch, confondu, balbutie de vagues excuses, mais la reine le rassure avec bonté ; elle admire la grâce, le talent dont cet ouvrage est empreint, et surtout la surprenante mémoire du jeune sculpteur ; car ce buste reproduisait la noble beauté de la reine elle-même. Dans sa clairvoyante générosité, la reine Louise devinant le brillant avenir du jeune Rauch, le débarrasse aussitôt de tout service étranger à l’étude de son art. Peu après, le roi l’envoie comme pensionnaire à Rome. Pénétré de reconnaissance, Rauch arrive en Italie, cette patrie des arts, but où tendaient tous ses vœux. L’enthousiasme du jeune artiste fut à son comble lorsqu’enfin parvenu au terme de son voyage, Rome lui apparut dans toute sa splendeur ! Dès que les premiers moments d’une exaltation bien naturelle furent un peu calmés, Rauch s’empressa de se mettre à l’œuvre, et, dès 1803, la statue d’Endymion endormi, lui méritait des éloges unanimes. Canova, Thorwaldsen, le traitaient en confrère, Raphaël Mengns, Winkelmann, Nieburg, Louis Tiek, le baron de Humboldt, alors ambassadeur à Rome, louaient à l’envi leur jeune compatriote. Rauch dut ce prompt succès à l’heureuse alliance de la vérité saisie sur nature et du choix de la forme, dont la beauté conduit à l’idéal ; il le dut aussi à la grâce, sans afféterie, enfin à un modelé savant, quoique simple en apparence, qualités précieuses qui distinguaient ce premier chef-d’œuvre du jeune statuaire allemand. Rauch passa six années à Rome, et, durant cet intervalle, les diverses œuvres qu’il produisit méritèrent la renommée qui les a rendues célèbres, grâce au sentiment exquis de son art, à la convenance parfaitement appropriée au sujet, enfin à l’élévation de la pensée qui domine dans toutes les conceptions de cet artiste. La mort prématurée de la généreuse reine Louise, arrivée en 1810, causa une affliction générale. Rauch en ressentit une profonde douleur ; dans sa reconnaissance, il avait voué un culte éternel à sa royale bienfaitrice. Le roi Frédéric-Guillaume III voulant élever un mausolée digne de l’illustre défunte, hésita d’abord entre Canova et Thorwaldsen, les deux plus célèbres statuaires d’alors ; après plus mûre réflexion, il préféra mettre ce monument au concours. Dès que Rauch l’eut appris, il partit en toute hâte pour Berlin, ne voulant pas laisser échapper une telle occasion de témoigner les sentiments dont il était pénétré. Le projet-modèle de Rauch réunit tous les suffrages ; aussi l’exécution en marbre lui en fut-elle confiée. Par une louable prudence d’artiste, Rauch se rendit à Charlottenbourg, là même où le roi avait décidé d’ériger le monument, afin d’y modeler tous les détails qui devaient en constituer l’ensemble. Ne voulant rien négliger de ce qui intéressait l’œuvre qu’il allait entreprendre, Rauch se rendit à Carrare pour choisir lui-même le marbre qui lui paraîtrait le plus convenable ; Rauch avait alors trente ans ; et dès qu’il fut réinstallé à Rome, le jeune statuaire se livra avec une religieuse ardeur à la réalisation de sa pensée. Après trois années de travail assidu, le mausolée était terminé ; expédié pour Berlin au mois de septembre 1814, il n’y parvint cependant que dans le courant de 1815, par suite de vicissitudes imprévues (1). Ce chef-d’œuvre, admiré à Rome, plaçait désormais Christian Rauch au premier rang des artistes ; à Berlin, le monument fut accueilli avec des transports d’enthousiasme ; ne rappelait-il pas en effet à tous la grâce, la douce et majestueuse beauté d’une reine, dont le souvenir vénéré était présent à tous les cœurs ? Noblement posée sur un lit de repos, les mains jointes sur son cœur, la reine semble à peine sommeiller ; l’angélique sérénité du visage témoigne de la pure candeur de son âme ; à la fermeté d’un grand caractère tempérée par la mansuétude, se joint la paix du pardon. Par cette nouvelle preuve d’un talent éminent, Rauch venait d’opérer une régénération dans l’art de la statuaire. Les sculpteurs allemands renoncèrent à leur habitude routinière et systématique, pour se livrer, l’exemple de leur maître, à la recherche du vrai, du simple, du naturel, du beau. L’on ne s’avisa plus de représenter les personnages de notre époque, et surtout les généraux, affublés d’un semblant de costume antique, grec ou romain, et ce qui

(1) Embarqué sur le brigantin l’Alexandre, portant pavillon anglais, ce mausolée devint la proie d’un corsaire américain qui captiva le navire ; mais, bientôt repris par un corsaire anglais, le gouvernement britannique fit charger le tombeau sur un cutter de la marine royale, pour qu’il fût rendu à son légitime possesseur.