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précédée, d’une édition antérieure, aujourd’hui perdue. Ce fut à cette époque que les attaques des luthériens contre l’Eglise provoquèrent de la part de l’autorité des mesures rigoureuses. La Sorbonne lança ses foudres, l’autorité alluma des buchers et dressa des potences. Les libres penseurs tremblèrent, les individus qui inclinaient du côté de la réforme durent songer à leur sûreté. Marot, qui avait prudemment quitté Paris et qui se trouvait à Lyon, où il adressait à Rabelais de jolis vers, Marot se retira dans le Béarn, auprès de le reine de Navarre ; Dolet fut jeté en prison, et peu d’années après, il devait être traîné au supplice. Rabelais, qui s’était fort compromis par les témérités de sa conduite, de ses paroles et de ses écrits, jugea prudent de s’éloigner ; il parcourut une partie de la France. Des témoignages, vagues et équivoques d’ailleurs, donneraient lieu de croire qu’il se montra à Bourges (1)[1], à Angers, à Castres, à Orange. Son protecteur, Jean du Bellay, avait été archevêque de Narbonne, et un poëte du temps, Macrin, atteste dans une de ses odes latines que Rabelais donna dans cette ville, tout comme à Paris et à Lyon, des preuves de l’étendue de ses connaissances dans l’art de guérir (2)[2]; mais ce fut en 1532 que du Bellay passa du siége de Narbonne à celui de Paris, et il est impossible de savoir aujourd’hui si ce fut après ou avant ses voyage à Rome que Rabelais vint guérir quelques malades dans cette cité du Languedoc. Ce que l’on sait du moins, c’est qu’en 1536 il était revenu à Rome, où Jean du Bellay, toujours chargé des affaires de France, jouissait de la faveur du pape Paul III, successeur de Clément VII, et venait de recevoir le chapeau de cardinal. Rabelais pouvait compter sur la protection de ce puissant personnage ; mais il fallait qu’il se mit à l’abri des attaques que pouvaient lui attirer avec raison les scandales de sa vie passée et l’audace de ses romans. Il les avait publiés sous le voile du pseudonyme ; mais personne n’ignorait qu’il en fût le véritable auteur. Il prit le parti d’adresser au pape une Supplicatio pro apostasia, pétition humble et soumise, où rien ne rappelle l’auteur de Pantagruel. Après avoir avoué ses fautes, après un court récit de sa fuite de l’abbaye de Maillezais, il demanda au souverain pontife absolution entière pour le passé, permission de reprendre l’habit de St-Benoît et de rentrer dans un monastère où l’on consentirait à le recevoir, et autorisation de pratiquer l’art mé

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dical sans employer le fer et le feu. Des lettres de Rabelais à l’évêque de Maillezais expliquent que, sans qu’il fût besoin de l’appui de du Bel-Bellay, les cardinaux Ghinucci (de Genutiis) et Simonetta agirent auprès du pape et firent obtenir les bulles que réclamait le téméraire Français. Ces bulles, pour l’expédition desquelles on lui fit même des concessions pécuniaires, sont datées du 17 janvier 1536 (1537) ; elles le relèvent de toutes les censures qu’il avait encourues et s’expriment sur son compte en termes élogieux. Muni de ce bref papal, qui le renvoyait absous, Rabelais ne se pressa point de quitter Rome ; il restait sous la protection de du Bellay, et il craignait l’esprit d’intolérance qui sévissait en France avec une force nouvelle. Sa position financière était d’ailleurs fort embarrassée ; il recevait quelque argent de l’évêque de Maillezais ; mais, quoiqu’il n’en dépensât rien en meschanceté ny pou sa bouche (prenant ses repas à l’ambassade de France), tout s’en allait en petites barbouilleries et meubles de chambre et entretenement d’habillement. Quittant une seconde fois l’Italie, Rabelais se rendit à Montpellier, où il voulait se faire recevoir docteur en médecine, cette dignité lui fut conférée le 22 mai 1537, ainsi que l’attestent quelques lignes de sa main, inscrites sur les registres de la faculté. Ces mêmes registres constatent qu’il expliqua le texte grec du livre des Pronostics d’Hippocrate. En 1538, il reçut un écu d’or pour des leçons d’anatomie, et c’est la dernière fois qu’il est fait mention de lui dans ces registres. Il y avait déjà quelque temps que le cardinal du Bellay lui avait assigné un bénéfice dépendant de l’abbaye de St-Maur des Fossés ; mais les chanoines, ses collègues, avaient refusé de le recevoir à cause de sa désertion des monastères où il avait successivement vécu. Le bref du pape lui pardonnait ses fautes, mais moyennant promesse de rentrer dans un couvent, chose que Rabelais ne trouvait nullement de son goût. Il pratiquait la médecine et portait l’habit séculier. Afin de pouvoir toucher les revenus de sa prébende de St-Maur, il adressa au pape une seconde supplique, dans laquelle il demandait que son absolution fût maintenue, que l’exercice de la médecine lui fût permis comme par le passé, et que les bénéfices qu’il possédait lui fussent acquis canoniquement et légitimement. Cette demande fut expédiée à Rome avec la recommandation du cardinal du Bellay. On ignore la réponse qui lui fut faite ; mais elle fut sans doute favorable, et Rabelais alla s’établir dans le couvent de St-Maur, où, un siècle plus tard, on montrait encore la chambre qu’il avait habitée. Cette résidence lui plaisait fort : dans l’épître au cardinal de Châtillon (en tête du quatrième livre de Pantagruel), il l’appelle « paradis de salubrité, aménité, seveurs, délices et touts honnestes plaisirs d’agriculture et de vie champestre ». Plusieurs années s’écoulé-

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vent

  1. Les noms de localités du Berry tout à fait insignifiantes qu’on rencontre dans Rabelais donnent tout lieu de croire qu’il a séjourné dans cette province. (Voy. la Revue des sociétés savantes, 1861, 2e série, t. 6. p. 187)
  2. Cette ode, que M. Lacroix a reproduite dans son travail sur la vie de Rabelais, donne les plus grands éloges au savoir encyclopédique de maître François ; il est qualifié de medicus peritissimus, non Galerno Pergameno minor, parfaitement au fait des propriétés des plantes (duid quaeque radix herbave conferat, ungus tenes), et fort instruit dans les pronostics quant aux astres (quid luna, quid stellae minentur).