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à l’occasion de la délivrance accoutumée d’un prisonnier à la fête de Pâques, de choisir entre Barabbas, fameux par ses crimes, et Jésus, renommé seulement à cause de sa doctrine. Ce motif-là même leur ayant fait préférer Barabbas, il crut émouvoir leur compassion et apaiser leur haine en faisant flageller Jésus, et il le leur présenta sanglant et couronné d’épines, en disant aux princes des prêtres et au peuple : Voilà l’homme, et, après s’être assis sur son tribunal : Voilà votre roi. « — Ôtez-le, s’écrièrent-ils ; crucifiez-le. — Crucifierai-je votre roi ? — Nous n’avons point d’autre roi que César. » Pilate, pressé entre la voix de sa conscience et les clameurs des Juifs, entre les terreurs de sa femme tourmentée d’un songe et la crainte d’encourir la disgrâce de l’empereur, ne voulut pas néanmoins prendre sur lui la condamnation de l’innocent. Il se lava les mains devant tout le peuple en rendant les Juifs responsables du sang du juste qu’ils allaient verser, et il le leur abandonna pour être crucifié. Cependant, comme il l’avait solennellement appelé leur roi, l’inscription qu’il fit mettre sur la croix, en grec, en afin et en hébreu, donnait à Jésus la qualification expresse de roi des Juifs ; ce titre ayant excité les réclamations des pontifes, il leur répondit : Ce que j’ai écrit en écrit. Il permit aussi à Joseph d’Arimathie de détacher de la croix et d’ensevelir le corps de Jésus, qui ne fut point rompu comme celui des larrons exécutés en même temps, et d’un autre côté, il autorisa les Juifs à mettre des gardes au tombeau et à en sceller l’entrée. Vaine précaution contre l’événement qui confondit ces mêmes Juifs et acheva d’étonner Pilate! C’était la coutume des magistrats romains d’adresser à l’empereur des procès-verbaux de ce qui était arrivé de plus remarquable dans leur province. Eusèbe témoigne que Ponce Pilate informa Tibère des circonstances relatives à la vie. À la passion et au bruit éclatant de la résurrection de Jésus-Christ, regardé comme un dieu par un grand nombre de gentils et de Juifs. Si les honneurs demandés au sénat pour le Christ ne furent point décernés, la paix du moins paraît avoir été laissée aux chrétiens par Tibère. C’était cette même faveur que Tertullien et Justin réclamaient en invoquant le rapport de Pilate et les faits consignés dans les archives du sénat. L’authenticité de ces actes a été défendue même par l’évêque anglican Pearson, contre Tannegui Lefèvre, professeur de Saumur, qui, d’après de faux actes de Pilate, que nous avons sous le titre d’Évangile de Nicodème (voy. ce nom), révoquait en doute la vérité des faits attestés par les anciens auteurs et distingués des relations apocryphes par St-Épiphane. La faveur qui avait été accordée aux chrétiens et la conduite opposée de leurs ennemis, qui fit chasser ceux-ci de Rome par l’empereur, consignés(, purent ensuite porter Pilate (plutôt en haine à Juifs, dit Philon, qu’en l’honneur de Tibère) à lui consacrer à Jérusalem des boucliers dorés, dans le palais d’Hérode, ce qui était contraire aux anciens rites. La réclamation des Juifs, repoussée par Pilate, fut adressée à l’empereur même, par l’ordre duquel ces boucliers furent placés à Césarée, dans le temple dédié à Auguste. Pilate se rendit également odieux aux Samaritains. Ils s’étaient rassemblés en armes sur le mont Garizim, qui passait chez eux pour un lieu saint. Pilate fit occuper la montagne par ses troupes, dispersa les mutins et mit à mort plusieurs habitants de Samarie. Mais, suivant Josèphe, les plus qualifiés d’entre eux, prétextant qu’ils n’avaient pris les armes que pour résister aux violences de Pilate, l portèrent leurs plaintes au consul Vitellius, pré et de Syrie. Ce préfet, brouillé alors avec le tétrarque de Galilée, accueillit leur dénonciation contre l’ami d’Hérode. Il enjoignit à Pilate d’aller se justifier devant l’empereur. Pilate, dépossédé en l’an 37 de son gouvernement, fut, suivant une tradition, relégué dans les Gaules par Caligula, qui avait succédé à Tibère. La tradition nomme pour le lieu de son exil Vienne en Dauphiné, où il se tua, dit-on, de désespoir en l’an 40. Cependant on montre dans cette ville la ruine antique d’un édifice qu’on nommé vulgairement le prétoire de Pilate, ce qui ne serait pas plus vraisemblable

que l’existence d’une prétendue maison dite de Pilate à Rome, et qui est celle de Crescenzio, du 9e ou 10e siècle. Suivant une autre tradition, la Scala Santa, près l’église de Ste-Croix, y présenterait les vingt-huit degrés de marbre du palais de Pilate, qu’aurait montés le Sauveur et sur lesquels les fidèles par dévotion rampent à genoux. On croit conserver aussi dans l’église voisine l’inscription de la croix en trois langues, tracée au minium sur bois de cèdre et que des antiquaires jugent être fort ancienne, caractère qui est bien éloigné d’être celui d’une prétendue sentence de Pilate, trouvée écrite en hébreu sur parchemin à Aquila, et qui aurait été traduite en italien et publiée en français à Paris, dans le 16° siècle[1].

G-ce.
  1. Il en existe une autre édition, Paris, 1621, in-8°. Une réimpression fac-simile de l’édition de 1581 a été publiée en 1839 par les soins de M. A. Soulié. On a attribué à Pilate divers écrits apocryphes ; celui qui porte le titre d’Actes de Pilate, dont St-Justin a parlé le premier, a depuis été mentionné par un grand nombre d’anciens auteurs. Une Lettre à l’empereur romain sur Notre-Seigneur Jésus-Christ figure dans les collections d’écrits apocryphes mises au jour par Fabricius, par Thilo et par Tischendorf ; divers vieux manuscrits en ont conservé le texte grec, mais sa supposition est évidente. Les bollandistes (Acta sanctorum, 4 februar. p. 460), ont publié une prétendue relation envoyée par Pilate à Tibère ; Cotelier en signale une autre qui est dans un manuscrit grec de la bibliothèque de Paris. Il existe un ouvrage du jurisconsulte Steller, Pilatus defensus, Dresde, 1674 ; Daniel Harnaceius en publia une réfutation, Leipsick, 1616. De nos jours, M. Salvador, dans son Histoire des institutions de Moïse, a essayé de justifier Pilate ; M. Dupin aîné a établi l’injustice du proconsul dans l’opuscule qu’il a publié en 1821, Jésus devant Caïphe et Pilate, in-18. On trouvera au sujet de ce personnage des détails uses étendus dans le Dictionnaire des apocryphes, qui fait partie de l’Encyclopédie théologique, publié par M. l’abbé Migne (t. Ier, col. 1091 ; t. 2, col. 747).
    Br-t.