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qu’il fallait au chef de l’école des ponts et chaussées. Il acheva de s’en concilier l’amitié et de consolider sa position en se posant le défenseur du pont de Neuilly. Cette construction de Perronet venait d’être l’objet de critiques sévères et malheureusement assez spécieuses, dans un mémoire présenté à l’Académie des sciences, où il n’avait pas été sans produire quelque sensation. Prony prit avec succès la défense de son maître. Plusieurs savants et même plusieurs membres de l’Académie se trouvaient intéressés à la question comme ayant concouru au plan du pont ou l’ayant sanctionné de leur approbation. On sut donc gré en général à l’apologiste ; et Monge voulut lui témoigner sa satisfaction en l’initiant lui-même aux parties les plus ardues de l’analyse dont chaque jour alors il s’occupait de reculer les limites par des découvertes. C’est Prony qui eut la part principale à la restauration du port de Dunkerque (1785), bien que Perronet ait officiellement présidé à cet ouvrage ; et, se trouvant alors au bord de la Manche, il fit un voyage en Angleterre. Il fut de même pour beaucoup dans les travaux du joli pont de Sainte-Maxence sur l’Oise. Il était aussi du nombre de ceux auxquels avait été confiées les études pour le pont Louis XVI ; et ces études terminées, il fut admis avec voix délibérative à la discussion qui eut lieu aux ponts et chaussées, puis employé à la construction avec le brevet d’inspecteur (23 mars 1787). Perronet vécut encore quatre ans. Prony les passa ainsi auprès de lui, cumulant les avantages de sa position à l’école et les appointements d’inspecteur. Il n’en fut plus de même quand Perronet, succombant à la maladie et à l’âge, fut remplacé par Chézy, et si Prony resta quelque temps encore à l’école, ce fut sans titre officiel et sans rétribution. Mais peu de temps après il fut nommé ingénieur en chef du département des Pyrénées-Orientales (21 août 1791). Il mit tout en oeuvre pour éviter de quitter Paris, et, comme l’assemblée constituante venait de voter le cadastre général de la France, il réussit à se faire nommer (6 octobre 1791) directeur du cadastre. Il en posa très-largement les bases, trop largement même aux dires de quelques-uns, et surtout trop lentement aux yeux de ceux qui voyaient par dessus-tout dans le cadastre le moyen d’asseoir l’impôt foncier de manière à lui faire rendre le plus possible. Avec les travaux du cadastre, il faisait marcher de front, depuis 1792, la confection des gigantesques tables logarithmiques à quatorze, dix-neuf et vingt-cinq décimales, qui étaient manuscrites à l’Observatoire et qui depuis n’ont cessé de rendre des services inappréciables au calcul astronomique. Ce qu’il y a de singulier dans l’exécution de cet énorme travail, c’est qu’il fut mené à bien en deux ans. Prony voyait approcher la fin de sa table quand, en 1794, fut créée l’école polytechnique. Lagrange et Prony furent dès l’origine chargés en

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commun de l’enseignement de la mécanique ; mais ce fut Prony qui occupa le plus souvent la chaire, et il y donna le modèle de cette admirable exposition surpassée depuis, et si remarquable alors, qui a tant contribué à populariser la culture des sciences. Les cours que fit Prony devinrent pour lui l’occasion d’une série d’ouvrages auxquels l’instruction spéciale a dû beaucoup. Vers le même temps fut reconstituée l’Académie des sciences comme partie de l’Institut ; Prony en fut nommé membre dès l’origine, et successivement il en devint secrétaire, puis président. Il fut aussi avec Cuvier et Vicq d’Azyr un des premiers fondateurs de la société philomatique. En un mot, son nom était entouré d’un grand éclat scientifique quand (1797) Bonaparte revint de sa campagne d’Italie, et, comme on sait, se plut à paraître à l’Institut, et surtout à la classe des sciences. Il rechercha Prony ; et Madame Prony (1)[1], que sa naissance et l’éducation avaient toujours tenue en relation avec la noblesse, fut reçue avec distinction, avec amitié par Joséphine. À la mort de Chézy, directeur de l’école des ponts et chaussées, de Prony fut nommé à ce poste. C’est en cette qualité que, en août 1808, Prony alla en compagnie de Sganzin visiter le département de la Vendée, à l’effet d’étudier les mesures à prendre pour assécher les marais de la contrée, pour canaliser les rivières susceptibles de devenir aptes à la navigation, et pour améliorer les ports. Avant et après cette excursion en Vendée, Napoléon l’avait chargé de semblables missions à l’étranger, notamment en Italie, où Prony dut faire trois voyages : le premier en 1805, pour inspecter le cours du Pô et pour exécuter plusieurs travaux au port de Gênes et au golfe de la Spezzia ; le second en 1806, pour l’amélioration des ports d’Ancône, de Venise et de Pola ; le troisième en 1810 et 1811, pour l’assainissement de la région occupée par les marais Pontins. La première de ces expéditions fut signalée par l’arrestation de Prony sur le territoire autrichien. Se confiant à l’état de paix, il s’était avisé de passer du royaume d’Italie, alors borné par le Pô, dans les anciennes provinces vénitiennes et à Venise même. Il était accompagné d’un officier supérieur (2)[2] autorisé à le suivre dans sa visite des bords du Pô. À peine les deux étrangers ont mis les pieds dans l’antique cité des doges que les agents de la police autrichienne les mandent l’un et l’autre, leur font subir un minutieux interrogatoire, examinant leurs papiers, où ils ne trouvent rien qui puisse faire naître l’ombre d’un soupçon, et n’en finissent pas moins par leur déclarer qu’ils sont aux arrêts (10 juillet). En vain le commissaire général

  1. (1) Madame de Prony, née Lapoix de Fréminville, morte le 5 août 1822 à l’âge de 68 ans, était bonne musicienne et jouait agréablement. Femme d’esprit, douée d’une bonne éducation, elle sut faire de son salon l’un des cercles les plus agréables.
  2. (2) Il se nommait Costanzo et avait le titre de chef de bataillon du génie.