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à cette époque et ce qui a été fait depuis de manière à justifier complètement le P. Prémare et ses compagnons des allégations injustes dont ils avaient été l’objet. On a reconnu, en lisant sans préjugés ces mêmes livres, qu’ils contenaient en effet des vestiges nombreux d’opinions et de doctrines nées dans l’Occident et qui avaient du être portées à la Chine a des époques très-reculées. Mais on a fait voir en même temps que ces opinions et ces doctrines, où le P. Prémare avait cru voir des débris des traditions sacrées ou des notions anticipées du christianisme, appartenaient à cette théologie orientale à laquelle Pythagore, Platon et l’école entière des Néoplatoniciens ont fait de si nombreux emprunts (1)[1]. Les PP. Prémare, Bouvet, Fouquet et plusieurs autres étaient donc tout aussi fondés à rechercher des idées et des dogmes analogues à ceux du christianisme dans le Sing-li, le I-hing, l’Invariable milieu, et dans les écrits de Tchouang-tseu, de Lao-tseu et de Hoaï-nan-tseu, que l’avaient été Eusèbe, Lactance et St-Clément d’Alexandrie à voir des prophéties dans les livres du faux Orphée ou d’Hermès le Trismégiste. On voit que ces rapprochements, qu’on attribuait à un faible où à une sorte de travers d’esprit, montrent au contraire, dans ceux qui les ont proposés, une vaste érudition et une profonde connaissance des ouvrages philosophiques des Chinois. Les faits recueillis par le P. Prémare étaient exacts ; sa manière de les expliquer se ressentait seule de l’influence sous laquelle il avait entrepris ses recherches. Il y a lieu de croire que, d’après cette explication, on lira avec moins de défaveur un morceaux très-intéressant du même auteur, intitulé Recherches sur les temps antérieurs à ceux dont parle le Chou-king et sur la mythologie chinoise, et inséré par Deguignes à la tête du Chouking, traduit par le P. Gaubil, sous la forme d’un discours préliminaire. Le P. Amiot a traité (2)[2] avec beaucoup de sévérité cet ouvrage, le seul, avec les courts extraits donnés par Deshautesrayes (voy. ce nom), où les personnes qui ne savent pas le chinois puissent chercher quelques extraits des plus anciens livres sur les traditions fabuleuses de la Chine. Il en veut surtout aux nombreuses citations dont ces Recherches sont appuyées. On voit, selon lui, d’un seul coup d’œil que deux ou trois auteurs très-peu volumineux ont pu les fournir toutes. Cette innocente supercherie est effectivement facile à reconnaître, au peu de précision des indications, dans les mémoires de plusieurs missionnaires, et notamment du P. Cibot et du P. Amiot lui-même ; mais le P. Prémare n’avait pas besoin d’y recourir. Ses lectures immenses et, la variété de ses connais

(l) On peut voir les preuves et les développement : de cette assertion dans un Mémoire sur la vie et les opinions de Lao-tseu, philosophe chinois du 6e siècle avant notre ère, mémoire lu à l’Académie en 1630, et qui fait partie du tome 7 de ses Mémoires.

(2) Mém. chin., t. 2, p. 140.

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sances en fait de livres chinois anciens ou modernes sont trop bien attestées d’ailleurs, et il n’en faudrait d’autre preuve que sa Notitia linguae Sinicae, le plus remarquable et le plus important de tous ses ouvrages, le meilleur, sans contredit, de tous ceux que les Européens ont composés jusqu’ici sur ces matières. Ce n’est ni une simple grammaire, comme l’auteur le dit lui-même trop modestement, ni une rhétorique, comme Fourmont l’a donné à entendre, c’est un traité de littérature presque complet où le P. Prémare n’a pas seulement réuni tout ce qu’il avait recueilli sur l’usage des particules et les règles grammaticales des Chinois, mais où il a fait entrer aussi un grand nombre d’observations sur le style, les locutions particulières à la langue antique et à l’idiome commun, les proverbes, les signes les plus usités ; le tout appuyé d’une foule d’exemples cités textuellement, traduits et commentés quand cela était nécessaire. Quittant la route battue des grammairiens latins que tous ses devanciers, Varo, Montigny, Castorano, avaient pris pour modèles, l’auteur s’est créé une méthode toute nouvelle, ou plutôt il a cherché à rendre toute méthode superflue en substituant aux règles les phrases mêmes d’après lesquelles on peut les recomposer. Ce seul mot renferme à la fois l’éloge du travail du P. Prémare et la seule critique fondée dont il offre le sujet. L’auteur a jugé les autres par lui-même, et il a cru que l’on consentirait comme lui à apprendre le chinois par la pratique au lieu de l’étudier par la théorie. Il a peut-être, ainsi qu’on l’a dit ailleurs (1)[3], trop considéré les cas particuliers au lieu de les réunir en forme d’observations générales. Ce sont enfin des matériaux excellents pour un ouvrage à faire, plutôt qu’un ouvrage véritablement achevé. Cette forme que le P. Prémare a laissée à sa notice est ce qui l’empêcha dans le temps de la faire graver à la Chine, et ce qui s’opposera toujours à ce qu’on la publie en Europe. En trois petits volumes, in-4o, elle ne contient guère moins de douze mille exemples et de cinquante mille caractères chinois. Elle a été publiée à Malacca ; (Cura et sumptibus collegii anglosinici, 1831, grand in-4o de 262 pages et 88 pages d’index. On ne peut dire que le plan qui y est suivi convienne à un livre élémentaire destiné aux commençants ; mais quand on a déjà une teinture de la langue on peut puiser dans cet ouvrage les notions de littérature qu’autrement on ne pourrait se procurer que par une lecture assidue des meilleurs écrivains chinois, continuée pendant de longues années. Le P. Prémare, qui, depuis 1727, entretenait avec Fourmont une correspondance suivie et qui montrait dans toutes ses lettres le plus grand empressement pour fournir à cet académicien tous les secours qu’il réclamait de lui, dut croire qu’il lui causerait un plaisir singulier

(1)Élém. de la gramm. chin., préf. p. X.

  1. (1) On peut voir les preuves et les développement : de cette assertion dans un Mémoire sur la vie et les opinions de Lao-tseu, philosophe chinois du 6e siècle avant notre ère, mémoire lu à l’Académie en 1630, et qui fait partie du tome 7 de ses Mémoires.
  2. (2) Mém. chin., t. 2, p. 140.
  3. (1)Élém. de la gramm. chin., préf. p. X.