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après ce grand événement. Plusieurs de ceux qui en furent chargés étaient ses élèves ou les élèves de ses élèves. C’est dans la 84e olympiade, lorsque Polyclète était âgé de trente-six ans à quarante ans, que dut avoir lieu le fait qu’Elieu raconte au sujet d’Hipponicus. Ce riche Athénien voulant élever une statue à Callias, son père, on lui conseillait d’en confier l’exécution à Polyclète : « Non, certes, dit-il, car il obtiendrait plus de gloire que moi. » Il s’agit ici évidemment de Callias II, qui s’était trouvé à la bataille de Marathon, de celui qui était archonte d’Athènes la première année de la 81e olympiade et qui signa la paix avec Artaxerxès, la quatrième année de la 82e. La statue, placée à cause de ce dernier fait dans le Tholus d’Athènes, doit dater de la 84e olympiade ou environ. Le mot d’Hipponicus prouve qu’à cette époque Polyclète avait déjà obtenu une grande réputation. Le plus célèbre de ous les ouvrages de Polyclète a aussi une date à peu près certaine : c’est la Junon d’Argos. Il conste, par le témoignage de Thucydide, que l’ancien temple de Junon fut incendié au milieu de la neuvième annéee de la guerre du Péloponnèse, seconde année de la 89e olympiade. Or, Junon étant l’une des divinités tutélaires d’Argos et les Argiens étant même dans l’usage de désigner les années par les noms de ses prêtresses, on ne peut douter qu’ils n’aient fait reconstruire la nouveau temple, ouvrage d’Eupolème, aussitôt après la destruction du précédent. La statue de Junon dut par conséquent y être placée vers le commencement de la 91e olympiade, 416 ans avant J.-C., 15 ou 18 ans après la consécration du Jupiter d’Olympie et 20 ou 24 ans après celle de la Minerve du Parthénon d’Athènes. Polyclète devait alors être âgé de soixante-quatre ans environ. Ces dates confirment ce mot de Columelle : « Polyclète apprécia toute la beauté de la Minerve du Parthénon et du Jupiter d’Olympie et n’en fut point épouvanté. » La statue de Junon d’Argos était colossale, suivant le témoignage de Strabon ; elle était seulement un peu moins grande que le colosse de Phidias. Or le Jupiter d’Olympie avait cinquante-six de nos pieds de hauteur, y compris sa base, et la Minerve trente-six. On peut supposer d’après cela que la Junon d’Argos avait trente-deux ou trente-quatre pieds de proportion. Elle était assise sur un trône d’or, dans une attitude majestueuse ; la tête, la poitrine, les bras et les pieds étaient en ivoire, les draperies en or ; elle était coiffée d’une couronne, sur laquelle l’artiste avait représenté les Heures et les Grâces. D’une main elle tenait son sceptre, de l’autre elle portait une grenade, au sommet du sceptre était posé un coucou ; le manteau étaie orné de guirlandes formées de branches de vigne, ses pieds reposaient sur une peau de lion. Ce ne serait pas rendre pleinement hommage au génie de Polyclète que de ne pas chercher à pénétrer le sens de ces allégories, d’autant que personne

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jusqu’ici n’en a donné l’explication. Pour que tout s’explique sans difficulté, il suffit de se rappeler que, dans la mythologie d’Homère et suivant l’opinion la plus généralement répandue chez les Grecs, Junon était la représentation de l’air atmosphérique, sœur et épouse de Jupiter ou le feu céleste. Voulant séduire sa sœur, encore vierge, Jupiter prit la forme d’un coucou ; de là vient, dit-on, que cet oiseau est consacré à Junon. L’assertion est juste : mais cette allégorie, comme la plupart des inventions de ce genre, a une signification première, à laquelle il faut remonter. Jupiter, pour s’unir à sa sœur, prit la forme d’un oiseau que l’hiver engourdit et qui ne se ranime qu’au retour du soleil, s’il n’a pas changé de climat, d’un oiseau qui ne fait entendre sa voix qu’au printemps et au commencement de l’été, d’un oiseau enfin qui ne chante jamais avec tant de continuité que lorsque l’air est imprégné d’une chaleur humide, par la raison que cet oiseau est l’emblême de l’humidité ignée, qui détermine la germination ; c’est ainsi que l’ont considéré les anciens dans le langage de l’allégorie. Le coucou élevé sur le sceptre faisait allusion à la combinaison du feu et du principe humide, par laquelle la déesse exerçait sa puissance. La grenade représentait à peu pris la même idée : formée du sang d’Atys, comme Vénus du sang de Saturne, cette espèce de pomme est un des signes que les anciens ont le plus fréquemment employés pour représenter la fécondité de la nature. Les Heures, au nombre de trois, sont les mêmes divinités que les saisons qui renaissent et se succèdent par un effet de la différente température de l’air. Les Grâces sont l’image des bienfaits que chaque saison répand à son tour sur le globe. Les pampres de vigne offrent l’emblème le plus frappant d’une riche végétation. Le Lion enfin, à qui les anciens ont donné plusieurs significations, a toujours été regardé comme un symbole des vents et des ouragans qui agitent la terre et précipitent sur son sein les germes répandus dans les airs : voilà pourquoi Cybèle était représentée dans un char traîné par des lions. C’est donc avec raison que Junon posait ses pieds sur la dépuille d’un de ces animaux soumis à son empire. Les autres ouvrages de Polyclète cités par les auteurs sont les suivants : deux Enfants qui jouaient aux osselets, deux Jeunes Filles qui portaient sur la tête des corbeilles sacrées, à l’imitation de celles qui remplissaient cet emploi dans les pompes religieuses et qu’on appelait par cette raison les Canéphores, un Jeune Homme ceignant sa tête d’une bandelette, apparemment un athlète victorieux appelé le Diadumène, un Jeune Homme armé d’une lance, appelé le Doryphore, un homme représenté se frottant le corps avec un strigile, dit l’Apoxyomène, un Guerrier saisissant ses armes, appelé l’Alexétère, ou celui qui va au secours, une figure nommée l’Artémon ou le