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n’y était changé ; et en effet, la ville avait forcé les propriétaires qui s’étaient transmis cette maison à respecter religieusement le lieu consacré par sa naissance. L’amitié des Carrare venait de l’attirer à Padoue, lorsque Boccace vint lui annoncer, au nom du sénat de Florence, qu’il était rétabli dans ses droits de citoyen comme dans le patrimoine de ses pères, et le prier d’accepter la direction de l’université récemment fondée dans la première ville de Toscane. Cet honorable asservissement ne sourit point à l’imagination de Pétrarque. Ses livres l’attendaient depuis quatre ans dans son Parnasse transalpin ; c’était ainsi qu’il appelait Vaucluse : son Parnasse cisalpin était sa maison de Parme. Il refuse les fonctions qui lui sont offertes, et court s’enfermer dans sa retraite première ; Rome, pleine de brigandages et d’assassinats, occupait alors toute la sollicitude pontificale. Clément VI invoqua les conseils de Pétrarque, et Pétrarque répondit en poète. Il parla des anciens droits du peuple romain, de la nécessité d’humilier les nobles, d’exclure les étrangers des charges, de rendre au sénat sa dignité, et déclara qu’il ne voyait de salut que dans l’établissement de la république sur les lois de l’égalité et de la justice. Vers le même temps, Rienzi, tombé entre les mains de l’empereur, et bientôt prisonnier du pape, fut livré à une commission judiciaire, et réclama vainement un jugement plus légal. Les biographes racontent que Pétrarque écrivit au peuple romain pour l’exhorter à intervenir en faveur de son ancien ami, et cette exhortation se trouve en effet dans ses œuvres. Mais rien ne semble indiquer qu’elle ait été envoyée a son adresse, et tout porte à croire, au contraire, que son imagination seule lui a dicté cette lettre, plus pour consoler Rienzi que pour le sauver. Toutefois, par une superstition qui peint à la fois l’ignorance et les lumières d’un siècle à demi barbare, ces juges, si impatients de punir un factieux qu’ils croyaient indigne de l’appui des lois, s’arrêtèrent dés qu’ils surent qu’il était poète, et craignirent d’attenter aux jours d’un homme que Cicéron aurait appelé un homme sacré (1) [1]. Le péril du moderne tribun n’était pas le seul chagrin de Pétrarque. Les médecins dont le pape était entouré, et dont il dénonçait au saint-père l’ignorance et les ridicules, se liguèrent contre lui. Il eut le tort de se croire blessé par des traits qui ne pouvaient l’atteindre, et sa gloire s’abaissa, pour les repousser, jusqu’à emprunter les armes de ses adversaires. De retour à Vaucluse, ce séjour lui inspira une réponse plus digne de lui : c’est son Epître à la postérité, où il rend compte des principaux événements de sa vie, jusqu’à son départ d’Italie, vers le milieu de l’année 1351 (2) [2]. Quelques mois après, Inno-

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cent VI fut appelé à gouverner l’Eglise ; homme de bonne vie, mais de petit savoir, selon l’expression de Matthieu Villani, et le seul pape dont Pétrarque n’ait reçu aucun témoignage de faveur. Le poète, après avoir deux fois, sous Clément VI, refusé les fonctions de secrétaire apostolique, suspect de magie auprès de son successeur, ne daigna pas dissiper les préventions du nouveau pontife ; il n’en regretta que plus vivement l’Italie, et bientôt il repassa les Alpes, incertain de la retraite qu’il allait se choisir, mais prêt à nommer sa patrie la première ville où il trouverait une vie calme et l’indépendance. Il voulut voir Milan et ne put aller plus loin. Séduit par l’accueil d’un homme puissant qui savait n’être avec lui qu’un homme aimable, admis au conseil de Jean Visconti, il accepta la mission de réconcilier la république de Gènes, qui venait de se donner à ce prince, avec celle de Venise, enorgueillie par des succès récents et qui paraissaient décisifs. Déjà, trois ans auparavant, Pétrarque avait tenté de prévenir une guerre qui présageait de longues et sanglantes divisions à l’Italie. Lié avec le doge André Dandolo, l’un des plus grands hommes de ce siècle dans la politique, dans la guerre et dans les lettres, il en avait appelé à son patriotisme ; son ami avait loué son éloquence, sans toutefois déférer à ses conseils. Sa nouvelle tentative ne fut pas plus heureuse que la première ; mais les événements montrèrent de quel côté était l’imprévoyance. Venise fut réduite à acheter la paix ; Dandolo mourut de douleur, et Visconti lui survécut à peine un mois. Cependant, après un silence de trois années, l’empereur avait répondu a la lettre par laquelle Pétrarque l’appelait à la pacification de son pays : ce dernier lui avait adressé de nouvelles instances. Mais l’avarice de Charles IV le pressait encore davantage de paraître en Lombardie. D’après ses ordres, Pétrarque vint le trouver à Mantoue, plein de confiance dans la sagesse d’un empereur ami du saint-siège pour faire disparaître de l’Italie ces vieux noms de Guelfes et de Gibelins qui avaient fait couler tant de sang, et qui fomentaient encore tant de haines. Il ne vit qu’un prince faible et avide, qui prenait la mauvaise foi pour de l’habileté, et qui donnait pour la première fois l’étrange spectacle d’un empereur d’Allemagne à la solde des Vénitiens. Le poète lui présenta des médailles précieuses d’Auguste, de Trajan et des Antonins : « Voila, lui dit-il, les grands hommes dont vous tenez la place, et qui doivent être vos modèles. » Admis pendant huit jours à toute la familiarité de ses entretiens, il désespéra bientôt de cette âme flétrie, et refusa d’entrer dans Rome à sa suite pour être témoin de son couronnement. Il s’attacha davantage aux neveux de Jean Visconti, que l’empereur avait hautement menacés, pour les confirmer ensuite à plus haut prix dans toutes lus usurpations de leur oncle. La haine publique les accusait alors d un fratricide.

  1. (1) Cic., Pro Archia poeta, § 19.
  2. (2) Dans l’Histoire littéraire d’Italie, p. 582, t. 2, Ginguné établit, contre M. Baldeili, que l’Epître à la postérité est de 1352 et non de 1372.