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grand nombre de chats : c’est à lui que la France doit l’espèce d’angora. Son jardin botanique de Beaugensier pouvait être cité après le jardin du roi et celui de Montpellier, pour ses richesses en plantes exotiques. Il acclimata le jasmin d’Inde (barreleria), celui d’Amérique (espèce de gaïac), le jasmin (ou lilas) de Perse et celui d’Arabie ; la lise ou courge de la Mecque, plante soyeuse ; le papyrus d’Égypte ; le laurier rose, le myrte à larges feuilles et à pleines fleurs ; le gingembre, le stirax, le lentisque, la nèlle et la cerise aigre sans noyau ; plusieurs vignes étrangères, et le figuier d’Adam (musa paradisaca), dont le fruit (ou régime) lui semblait être cette espèce de raisin que les éclaireurs envoyés par Moïse rapportèrent de la terre de promission. Dans sa retraite, Peiresc encourageait les lettres plus qu’aucun prince, même plus que ce cardinal de Richelieu, qui fonda, quelques années après, l’Académie française. Bien digne d’être appelé par Bayle le procureur général de la littérature, il se tenait à la hauteur des progrès que les sciences faisaient autour de lui, publiait à ses frais des manuscrits, suivait le mouvement des travaux d’érudition dans toute l’Europe, et plus souvent encore leur donnait lui-même une active impulsion. Un savant préparait-il quelque édition ou un travail quelconque, Peiresc l’aidait de ses livres, de ses propres recherches, de ses observations, ou demandait pour lui des secours à la bibliothèque du roi, à la bibliothèque Ambrosienne, à celles du Vatican et de l’Escurial. Il donne à Scaliger des livres hébreux et des médailles des princes della Scala, dont cet hypercritique prétendait être issu ; à Holstenius, plusieurs anciens géographes, et vingt manuscrits grecs des interprètes d’Aristote et de Platon ; à Saumaise, plusieurs manuscrits coptes et arabes ; à Doni, toutes les inscriptions de la Provence ; à Sickard, l’exemplaire unique de tables astronomiques en hébreu, dressées dans le 13e siècle. Sans lui, Kircher n’eût pas composé son ouvrage sur la langue copte (Lingua œgyplíaca restituta), et Bergier eût laissé fort imparfaite Son Histoire des grands chemins de l’empire romain. L’éditíon des fragments de Polybe et de Nicolas de Damas, par François Valois, eut pour type le riche manuscrit des Extraits de Constantin Porphyrogénète, que Peiresc avait fait venir de l’île de Chypre. Mersenne, en dédiant au conseiller d’Aix son Harmonie universelle, reconnut les obligations qu’il lui avait, et Grotius déclara que c’était par son inspiration et ses secours qu’il avait entrepris l’ouvrage du Droit de la guerre et de la paix. En 1628, Peiresc avait formé le projet d’amener à Aix les eaux de la Durance et du Verdon ; il se proposait d’attirer de la Flandre un ingénieur pour diriger les travaux de ce canal, lorsque la peste et les troubles politiques le forcèrent de renoncer à son dessein. La Provence n’avait encore d’autres historiens que Nostradamus et Clapiés : il voulut les faire oublier par un travail plus large et surtout plus exact ; mais au milieu de tant d’études si diverses, pouvait-il mettre en œuvre les matériaux qu’il avait amassés ? Il forma une collection des vases, poids et mesures des anciens, et notamment de pièces concernant l’as romain, pour s’éclairer dans la lecture des auteurs qui ont traité cette matière, sur laquelle il laissa lui-même un ouvrage inédit. Par un procédé ingénieux, il apprit aux antiquaires à lire des inscriptions qui avaient disparu. C’est en combinant la disposition des trous où étaient scellés les caractères avec la forme de ces caractères et leurs liens naturels qu’il parvint à restituer l’inscription d’un temple de Jupiter à Assise. Il essaya, mais sans succès, la même opération sur celle de la maison Carrée à Nîmes : le savant Séguier a été plus heureux (voy. son article). Lorsque Galilée eut découvert les satellites de Jupiter, Peiresc dressa des tables de leurs mouvements, dans le but d’aider les géographes à trouver les longitudes ; il exerça l’un de ses agents (Pierre Lombard) à ce genre d’observations, et le fit voyager en Asie, muni des instruments nécessaires pour ces déterminations astronomies-géographiques ; mais ayant appris dans la suite que Galilée avait les mêmes vues, il sacrifia son travail à celui de l’inventeur. Gassendi fut toujours de moitié dans ses observations astronomiques ; placé avec lui au faîte de la maison des oratoriens d’Aix, il mesura la hauteur méridienne solsticiale du soleil, et justifia Pythéas des reproches de Strabon[1]. Peiresc regarda les comètes comme de véritables planètes, tandis que les partisans d’Aristote persistaient à les prendre pour des feux passagers. Les révolutions physiques du globe, la communication des chaînes de montagnes et des volcans, l’origine des fontaines, la formation des pierres, la théorie des vents, exercèrent tour à tour sa pensée, ou, s’il nous est permis de le dire d’après l’état actuel des connaissances, fournirent matière à son imagination. Au reste, il ne tenait point opiniâtrement à ses idées. Après de nombreuses observations sur les yeux des oiseaux, des poissons et des quadrupèdes, il s’était cru fondé à conclure que les objets se peignent dans l’humeur vitrée : mais de toutes parts naissaient des difficultés contre ce système ; il n’hésita point à l’abandonner. Avant Malebranche, il soutint l’opinion populaire de l’influence de l’imagination de la mère sur le fœtus ; il vérifia l’existence des veines lactées du mésentère, et fut le premier qui employa la thériaque contre les vers cucurbitins. Dans les expériences qu’il faisait sur les animaux, Peiresc découvrit sur la côte de Toulon le murex dont les anciens se servaient pour teindre la pourpre ; il s’attacha aux dents comme au caractère le plus sûr pour distinguer l’espèce des animaux, et décrédita cette crédulité

  1. Voy. Montucla, Hist. des mathém., t. 2, p. 335.