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la bourse fut pillée ; le sang coula ; après quoi l’escadre qui portait la cour leva l’ancre. On comprend avec combien d’impatience, après un semblable conflit pour début, les Brésiliens suivaient ce qui se passait aux cortès de Lisbonne. La grande question pour eux, ce n’était pas la constitution comme constitution, c’était la garantie en principe, la garantie par une loi fondamentale, que le Brésil ne serait pas exploité arbitrairement par l’insatiabilité du Portugal. On comprendra aussi facilement avec combien d’indignation, quelques heures après le départ de Jean VI, fut reçu le décret des cortès qui rétablissait avec tous ses vices l’ancien système colonial, contrairement à l’esprit politique qui avait animé le gouvernement, quand, peu de temps après la translation de la cour à Rio, il avait adopté, pour désigner l’ensemble des possessions portugaises, le titre de royaume-uni du Portugal, du Brésil et des Algarves. Dom Pedro feignit de vouloir se conformer au décret émané de Lisbonne, et, conformément au deuxième décret qui accompagnait le premier, il faisait, avec assez de bruit pour que personne n’en ignorât, ses préparatifs pour revenir en Europe. Le parti de l’indépendance ne manque pas de l’inviter solennellement à suspendre son départ (janvier 1822). Le remarquable pamphlet d’Andrada, intitulé le Réveil brésilien, mit le comble à l’effervescence de cette notable partie de la population. Il ne faut pas demander si dom Pedro, que ses convictions, il faut le dire, non moins que son ambition, rendaient favorable aux exigences des Brésiliens, consentit à l’invitation de ses amis. Peu s’en fallut pourtant qu’en dépit de sa volonté le vœu des cortès ne se réalisât. Le général Georges d’Avilez avait formé le projet de l’enlever, aidé de ses troupes, qui tenaient fortement pour la cause de la métropole, et ce qui aggravait le danger, c’est que, à l’exception du ministre de la marine Farinha, tout le cabinet tremblait à l’idée de désobéir au décret, inclinant à se séparer du régent. Ce dernier déjoua le complot par sa présence d’esprit, et fit passer les bandes suspectes de l’autre côté du fleuve ; puis, réduit à lui-même par la démission de ses ministres, il expédie seul, trois jours durant, toutes les affaires, et enfin le 16 janvier arrive à créer un nouveau cabinet, où ne restent de l’ancien ministère que Farinha et d’Andrada. Moins d’un mois après avait été renvoyée en Europe la division auxiliaire, malgré sa vive résistance, qui n’avaít cédé qu’aux dispositions prises pour canonner ses retranchements, et aux menaces de Pedro lui-même qui, une mèche à la main et l’autre sur un affût, annonça au général de ce corps qu’il tirerait le premier contre les Portugais s’ils ne s’embarquaient. Il alla ensuite étouffer dans le Minas-Geraes une rébellion en faveur de l’ancien système, et contre tout ce qui semblait de nature à favoriser l’égalité des relations entre le Brésil et le Portugal. Les insurgés avaient déjà établi une administration a la lace de celle des agents de Pedro et levé des milices qui devaient barrer au prince l’accès de cette contrée montagneuse et difficile. Trente jours lui suffirent pour réduire à néant toutes ces démonstrations. Il n’eut pas même à combattre. Suivi de quelques bonnes troupes, il n’eut qu’à se montrer pour voir les forces par lesquelles on avait compté lui résister s’éparpiller et se foudre. Toute rébellion ou conspiration manquée affermit, dit-on, le pouvoir contre lequel on l’a tentée. Il en fut ainsi de l’échauffourée de Minliros. Pedro, de retour à Rio-Janeiro, où d’Andrada, pendant son absence, avait réprimé sévèrement les partisans du passé, fut salué par les acclamations de ses adhérents, et quelque temps après (13 mai 1822), il acceptait le titre très-significatif de défenseur et protecteur du Brésil, titre qui l’eût été bien plus encore s’il l’eût accepté tout au long comme on le lui offrait, en un mot, s’il eût été, au lieu de défenseur, protecteur du pays qui lui confiait ses destinées. Mais cette dénomination rappelait trop l’Angleterre et trop aussi la république, qui ne manquait pas de partisans en Amérique, mais qui ne pouvait en aucune façon avoir les sympathies du prince. Une des premières mesures du cabinet de d’Andrada avait été la création d’un conseil de procureur : général des provinces du Brésil. Ce conseil se réunit le 2 juin et prêta le serment de maintenir la régence ; puis (le 3) il réclama la convocation d’une assemblée générale des provinces pour délibérer sur les conditions auxquelles le Brésil pourrait rester attaché au Portugal et sur quelques autres questions non moins graves. Pedro se hâta de sanctionner cette résolution en donnant à l’assemblée générale en question les qualifications de constituante et de législative. La municipalité, la garnison jurèrent de protéger sa régence : de son côté, il prêta serment de consacrer à jamais sa vie à la cause du Brésil. Tout s’acheminait, on le voit, vers la séparation de la colonie et de la métropole. Ce grand pas toutefois restait toujours à faire. Pedro semblait lui-même répugner à cet acte décisif ; mais enfin il avait eu soin de se mettre sous la protection d’un serment merveilleusement élastique, et il était vraiment possible de soutenir que le divorce politique des deux pays était nécessaire à la prospérité du Brésil. Cette opinion était celle de la population blanche, et ces séparatistes (c’est ainsi qu’on les nommait), divisés en trois nuances particulières, les absolutistes, les constitutionnels et les exagérés ou démocrates, marchaient d’accord pourtant en ce moment, parce que l’on n’en était pas encore venu à triompher de l’ennemi commun. Une autre province remue sur l’entrefaite, c’était la province de St-Paul, celle qui, avec la province de Rio-Janeiro, avait été la première a se manifester pour l’indépendance. Pedro partit pour prévenir une explosion imminente, laissant