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« maître du royaume[1]. » Le duc d’Ormond n’osa pas profiter de cet avis ; et le lendemain l’électeur de Hanovre fut proclamé roi, sans aucune opposition, sous le nom de George Ier. Reçu d’abord froidement par ce prince, et obligé de se démettre de la charge de capitaine général, qui fut rendue au duc de Marlborough, le duc d’Ormond fut cependant bientót après nommé gouverneur du Sommerset et membre du conseil privé. Mais son repos fut de courte durée ; le parlement d’Irlande porta contre lui un acte de proscription, avec confiscation de ses domaines, et promit une récompense de dix mille livres sterling à celui qui pourrait le saisir. Le 21 juin, il fut accusé de trahison dans la chambre des pairs d’Angleterre par Stanhope, qui lui reprochait de s’être emparé de Gand et de Bruges, pour affaiblir les alliés et favoriser la France, et d’avoir agi de concert avec le général de cette nation. Plusieurs orateurs le défendirent ; ils prouvèrent qu’il n’avait agi que d’après les ordres de la reine ; mais tous leurs efforts furent vains, — et l’accusation fut admise à une grande majorité. Le duc, voyant qu’il n’avait rien à espérer de juges si passionnés, se réfugia en France avec lord Bolingbroke, qui se trouvait également accusé. Pendant leur absence, ils furent tous deux condamnés comme coupables de haute trahison, et leurs biens furent confisqués. Dès son arrivée en France, le duc d’Ormond s’empressa d’aller présenter ses hommages au prétendant. À la mort de Louis XIV, la politique de la France ayant changé, le régent, désirant vivre en bonne intelligence avec l’Angleterre, fit donner l’ordre au prétendant de sortir du royaume. D’Avignon, où ce prince se retira, ainsi que le duc d’Ormond, ce dernier entretint une correspondance des plus actives avec les jacobines et les mécontents des trois royaumes. Il suivit le prétendant à Rome et y séjourna quelque temps avec lui. Mais en 1718 le cardinal Albéroni, irrité de voir que l’Angleterre s’opposait aux vastes projets qu’il avait conçus pour l’agrandissement de la monarchie espagnole, résolut de détrôner George Ier, en fomentant la guerre civile dans ses États. D’après l’invitation du cardinal-ministre, le duc d’Ormond se rendit à Madrid, où le prétendant ne tarda pas d’arriver aussi, et fut parfaitement accueilli. Albéroni fit conférer au duc le titre de capitaine général de Sa Majesté Catholique, et lui fit confier le commandement d’une flotte de 10 vaisseaux de guerre et de transport, ayant à bord 6 000 hommes de troupes régulières, avec des armes pour 12 000hommes ; mais cette expédition fut dispersée par une tempête. Les revers que l’Espagne éprouva dans la lutte où Albéroni l’avait engagée ayant forcé Philippe V à renvoyer son ministre et à demander la paix, le prétendant commença à désespérer de sa cause ; et le duc d’Ormond choisit de nouveau Avignon pour sa résidence ; il ne se mêla plus d’affaires jusqu’à sa mort, arrivée en 1747. On a publié des Mémoires de la Vie de milord duc d’Ormond, traduits de l’anglais, la Haye, 1737, 2 vol. in-12. Ces Mémoires, où le duc d’Ormond est supposé raconter ses propres aventures, sont évidemment apocryphes et remplis d’anecdotes scandaleuses ; celui qui les a fabriqués ignorait tellement ce qui concernait la vie privée de ce seigneur, qu’il lui fait dire qu’il était fils du dernier duc d’Ormond, tandis qu’il n’était que son petit-fils. Carte a écrit la Vie du deuxième duc d’Ormond, qui est l’objet de cet article ; elle fait partie de l’ouvrage intitulé Memorandum Book, cité dans l’Histoire d’Angleterre de Bertrand-Moleville.


ORMOY (Charlotte-Chaumet, présidente d’), née à Étampes vers 1732, avait perdu une fortune assez considérable lorsqu’elle s’adonna à la littérature, dans la vue, à ce qu’il parait, de se ménager de puissants protecteurs qui l’aidassent à améliorer sa situation. Elle faisait, depuis quelques années, ses visites à Jean-Jacques Rousseau, visites, selon lui, sans objet et sans plaisir, et lui offrait de petits cadeaux affectés, quand un jour elle lui proposa de soumettre à son jugement un roman qu’elle avait composé avec l’intention de le présenter à la reine. Rousseau refusa de prendre connaissance du manuscrit ; mais, quelque temps après, ayant reçu le livre tout imprimé, et en ayant parcouru la préface, il y trouva, dit-il (Rêveries d’un promeneur solitaire), « de grosses louanges de lui, maussadement plaquées avec tant d’affectation qu’il en fut douloureusement affecté ». Mais il fut encore bien plus contrarié lorsque, dans une nouvelle visite, l’auteur, accompagnée de sa fille, lui apprit que son livre (les Malheurs de la jeune Émilie) faisait beaucoup de bruit à cause d’une note qui s’y trouvait. Il lut cette note, qui d’abord avait échappé à son attention, et crut y découvrir le motif de l’empressement que la dame lui avait montré ; puis, rattachant cette circonstance au complot général qu’il supposait formé pour troubler son repos et ruiner sa réputation, il écrivit sur-le-champ à madame d’Ormoy : « Rousseau, ne recevant chez lui aucun auteur, remercie madame *** de ses bontés, et la prie de ne « plus l’honorer de ses visites. » Il reçut en réponse une lettre, où elle se plaint de l’injustice dont il la rendait victime et du coup qu’il venait de porter à un cœur sensible ! Mais Jean-Jacques ne vit là que l’expression d’un désespoir simulé. Il est certain du moins qu’elle n’en mourut pas immédiatement, car elle vécut jusqu’à l’année 1791. La présidente d’Ormoy était membre de l’académie des Arcades de Rome, sous le nom de Laurilla. Les écrits qu’elle a publiés sont : 1° le Lama amoureux, conte ; 2° les Malheurs de la jeune Émilie, pour servir d’instruction aux âmes

  1. Il faisait sans doute allusion au désir que la reine Anne avait témoigné de déclarer le prétendant son successeur ; projet que le duc d’Ormond etait réputé favoriser.