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barre, et Danton fut envoyé au tribunal révolutionnaire. Aux mois de juin et de juillet 1794, Barère parut souvent à la tribune pour annoncer les succès des armées républicaines. Il le faisait avec une exagération telle, que St-Just lui dit un jour : "Tu fais trop mousser nos victoires." À l’occasion de la prise de Tonrnay, Barère fit ordonner que les garnisons de Condé et de Valenciennes seraient passées au fil de l’épée, si elles n’évacuaient ces places dans les vingt-quatre heures ; ce qui ne fut pas exécuté. Mais il n’en avait pas moins prononcé ces paroles qu’on lui reprochera toujours : "Transigez aujourd’hui, ils vous massacreront demain… Non, non, que les ennemis périssent ! Le l’ai déjà dit à cette tribune. Il n’y a que les morts qui ne reviennent point." ll avait fait décréter, le 26 mai précédent, qu’il ne serait fait aucun prisonnier anglais. Le 9 juillet, il fit, au nom du comité, passer à l’ordre du jour sur les accusations dirigées contre Joseph Lebon pour les cruautés qu’il avait commises à Arras et à Cambray. "Des forme un peu acerbes, dit le mielleux rapporteur, ont été érigées en accusation ; mais ces formes ont détruit les piéges de l’aristocratie. Une sévérité outrée lui a été reprochée, mais pas un patriote n’a été frappé… Il ne faut parler de la révolution qu’avec respect, et des mesures révolutionnaires qu’avec égard. La liberté est une vierge ont il ne faut pas soulever le voile." On n’aurait jamais fini de citer les paroles atroces qu’on a recueillis de la bouche de Barère. C’était, pour les bons mots, le Talleyrand de l’époque. "La guillotine, disait-il, n’est pour mourir qu’un lit un peu plus mal fait qu’un autre." Il répétait en plaisantant cet autre mot de Cambon : Il faut battre monnaie sur la place de la Révolution. Barére appelait encore le fatal tombereau destiné au transport des condamnés la bière des vivants. Le 7 thermidor (21 juillet 1794), après avoir fait l’éloge de Robespierre et demandé l’impression du discours par lequel celui-ci avait essayé de repousser l’accusation d’aspirer à la dictature, Barère, voyant sa proposition vivement combattue et les attaques tomber de toutes parts sur Robespierre, changea tout a coup de note, retira sa proposition et ajouta que si, depuis quatre décades, ce dernier eût suivi les opérations du comité, il aurait supprimé son discours. En abandonnant si promptement Robespierre, Barère, Carnot et les autres membres du comité s’associèrent au succès de la journée du 9 thermidor. Appelé ce jour-là à la tribune par cette même majorité qui refusait d’entendre Robespierre, l’éternel et fécond rapporteur, qui n’était jamais au dépourvu, dénonça en peu de mots, au nom du comité, un complot tendant à changer le gouvernement. À la suite de ce rapport, il fit décréter une proclamation, supprimer le grade de commandant général de la garde nationale, et décréta, en cas de troubles, la responsabilité du maire de Paris, de l’agent national et du commandant a tour de rôle de la garde parisienne. Robespierre, qui n’avait pas un instant quitté la tribune, et qui savait que ce décret adroit, en destituant Henriot, brisait dans sa main la cheville ouvrière de ses projets, essaya de nouveau de se faire entendre ; les cris : À bas le tyran ! à bas le dictateur ! lui coupent la parole. Il est mis en arrestation, ainsi que ses amis. Barére fut encore chargé le soir d’en faire un second rapport, et de proposer de nouvelles mesures ; il raconta les événements de l’hôtel de ville et rédigea derechef une proclamation au peuple français. Ce fut seulement le 30 juillet, en proposant la nomination de trois nouveaux membres du comité de salut public à la place de ceux dont la téte venait de tomber sous le glaive de la loi, qu’il entra pour la première fois dans le détail de la conspiration de Robespierre. Il avait eu le temps de préparer son thème, et il fit de cette conspiration un roman contre-révolutionnaire qui eut tout le succés désirable. Le moment n’était pas éloigné où il allait perdre le peu qui lui restait d’influence ; il sortit, le 1er septembre, du comité de salut public, où il avait siégé dix-sept mois. Le 29 août, il avait été dénoncé par Lecointre de Versailles, qui, n’ayant pu produire les pièces à l’appui de sa dénonciation, la vit déclarer calomnieuse. Accusé de nouveau par Legendre et par Clauzel, Barère rejeta sur la popularité de Robespierre les ménagements dont on avait usé à son égard ; déclaration contradictoire avec ce qu’il avait dit dans un de ses précédents rapports, que ce n’était que quelques jours avant le 9 thermidor que le comité avait pu apprécier l’hypocrisie du dictateur. Barère invoqua encore le témoignage de Carnot, qui prit sa défense. Après une longue discussion, une commission de douze membres fut nommée, pour examiner sa conduite. Le 14 novembre, Barère se plaignit de la réaction thermidorienne, de l’audace du parti contre-révolutionnaire, et dit qu’il avait été frappé dans le Jarvlin national pour avoir crié vive la république ! Quelques jours après (le 26), il fut encore l’objet d’une provocation indirecte de la part de Legendre, qui s’étonna que "les trois conspirateurs fieffés, les intimes de Robespierre, qui ne s’étaient divisés que sur les victimes, fussent encore dans la convention." Chaque jour la tribune retentissait de nouvelles accusations, lorsque, le 27 décembre, Merlin de Douai fit décréter la nomination d’une commission de vingt et un membres pour examiner la conduite de Barère, Collot d’Herbois, Billaud-Varennes et Vadier. Le 5 janvier 1795, Courtois, chargé de l’examen des papiers de Robespierre, ayant dénoncé Barère et Collot d’Herbois comme ses complices, l’assemblée décréta le renvoi de son rapport à la commission des vingt et un ; le 2 mars, sur le rapport de Saladin, ils furent décrétés d’accusation. Barère prit la parole pour se défendre, et essaya encore une fois de rejeter sur Couthon, Robespierre et St-Just la responsabilité des mesures odieuses dont on accusait le comité. Dans la séance du 23, il présenta habilement sa défense, qui fut appuyée par les témoignages favorables de plusieurs députés ; mais l’émeute du 12 germinal (1er avril) ayant été attribuée au projet de sauver Barère et ses coaccusés, la déportation fut prononcée contre eux.