grand vizir Sinus de comparaître au milieu de la nuit devant cette assemblée séditieuse. Ce ministre, qui avait autant de prudence que de courage, dissimula les affronts qu’il reçut de Bectas, jura sur son cimeterre qu’il était prêt à reconnaître Soliman pour son légitime souverain, et que, dès la pointe du jour, il le transporterait lui-même au sérail pour le proclamer. Trompé par l’apparente sincérité du grand vizir, l’aga ne crut pas qu’on put combattre un traître avec ses propres armes ; il eut l’imprudence de laisser sortir Sinus de la mosquée, et de compter sur son appui. En moins de deux heures, le grand vizir fit prendre les armes à toute la maison militaire du sultan, aux spahis qui n’étaient pas les complices des janissaires, enfin à tous les pachas qui se trouvaient à Constantinople, auxquels il envoya l’ordre de se rendre sur-le-champ au sérail pour y défendre leur souverain. Le muphti avait déjà consacré par un fetfa l’arrêt rendu contre la sultane Kiasem : elle était mise à mort, et la vie et le trône du jeune sultan Mahomet étaient presque hors de danger, lorsqu’aux premiers rayons du jour, Bectas n’avait pas encore pensé à agir. Il n’était plus temps : la vue de l’étendard sacré déployé sur la porte extérieure du sérail, la contenance des corps nombreux et armés qui remplissaient les cours, et n’attendaient que le signal pour fondre sur les rebelles, jetèrent un tel effroi parmi les amis ou les complices de Bectas, qu’en peu d’instants ce redoutable ennemi se vit presque seul. En vain, dans sa fureur, osa-t-il proposer l’incendie de Constantinople ; il fut abandonné à toute sa rage, devenue impuissante, et au juste châtiment qui l’attendait. Il prit la fuite, et alla, déguisé en Albanais, chercher un asile sous le toit ignoré d’un homme du peuple. Dès le lendemain, il fut découvert, traîné jusqu’au sérail, où le fatal lacet fut le prompt et juste châtiment de son crime, dont sa seule imprudence avait empêché le succès.
BECTOZ (Claudine de), fille d’un gentilhomme du Dauphiné, naquit près de Grenoble, vers 1480, et entra jeune dans le monastère de St-Honorat, en Provence, où elle prit le nom de sœur Scolastique. Elle se mit sous la direction d’un savant religieux de Lérins, nommé Denis Faucher, ou Fauchier, qui, lui ayant reconnu de la pénétration et de la facilité à apprendre, résolut de lui enseigner les langues anciennes ; elle y fit des progrès surprenants en assez peu de temps ; elle écrivait en latin avec tant de grâce, que sa réputation franchit les bornes de sa province, et parvint à la cour de François Ier. Des auteurs contemporains lui ont donné le nom de Sapho ; mais il faut se défier de tous les éloges exagérés ; et les ouvrages de Claudine de Bectoz ne nous étant pas parvenus, nous ne pouvons savoir s’ils justifiaient ceux qu’on leur a donnés. Les biographes qui ont parlé de cette religieuse disent que François Ier était en correspondance avec elle, qu’il portait constamment ses lettres, et qu’il les citait comme des modèles aux dames de sa cour. On ajoute que ce prince, passant en Provence avec la reine Marguerite de Navarre, sa sœur, dont on connaît l’esprit et l’amour pour les sciences, se détourne de sa route pour visiter Claudine de Bectoz. Elle devint abbesse de son couvent, et mourut en 1547. Paradin Chorier, dans la Bibliothèque du Dauphiné, le P. Hilarion de Coste, et deux savants étrangers, Louis Domenichi et August. della Chiesa, ont parlé avec éloge des talents de cette dame.
BEDA (Noël), naquit sur la fin du 15e siècle,
en Picardie, ou plutôt dans le diocèse d’Avranches,
selon Duboulay. Il fut principal du collège de Montaigu,
à Paris, en 1502, docteur en 1507, et syndic
de la faculté de théologie vers 1520. Il porta dans
cette place un zèle turbulent, qui éclata par des factions,
et dont il fut enfin la victime, après avoir précipité
cette compagnie dans plusieurs démarches
inconsidérées. Deux sortes de personnes furent en
butte il ses persécutions : les théologiens, qui paraissaient
vouloir secouer la rouille scolastique, et les
gens de lettres, dont il redoutait la critique. En matière
de religion, il poursuivit le docteur Merlin,
qui avait fait l’Apologie d’Origène ; le Febvre d’Etaples,
qui croyait voir trois Madeleine dans l’Évangile ;
Érasme dont les paraphrases s’éloignaient de
la précision théologique. Il réussit à faire censurer
ce dernier par la faculté ; mais son crédit échoue
contre le Miroir de Pente pécheresse de la reine de
Navarre. Il ne fut pas plus heureux dans le procès
qu’il intenta au collège royal, contre lequel il avait
soulevé l’université, sous prétexte que la religion
était en péril, si renseignement du grec et de l’hébreu
prenait faveur, à moins que les professeurs n’en
fussent approuvés par la faculté de théologie. Ce
n’est pas qu’il n’y eut des choses à reprendre dans
la plupart des auteurs sur lesquels il déchargeait sa
bile ; mais son emportement et ses intrigues donnaient
un air de faction à tous ses procédés : c’est
ce qui parut principalement dans l’affaire du divorce
de Henri VIII, roi d’Angleterre, sur lequel la faculté
fut consultée. La majeure partie des docteurs gagnés
par la cour était disposée à opiner en faveur du tyran
contre une reine opprimée. Le tort du syndic
ne fut point d’empêcher cette délibération injuste,
mais de se permettre des réflexions indiscrètes sur
l’alliance politique du monarque anglais avec François Ier, de porter le désordre dans les assemblées,
d’arracher le registre des mains du bedeau, afin que
la cour n’en eut point communication ; d’y substituer
un acte différent de celui qui avait été délibéré ; de
prêcher publiquement contre le roi, sous prétexte
qu’il ménageait trop les hérétiques. Un premier bannissement
ne l’ayant point corrigé, ses extravagances
le conduisirent enfin à faire amende honorable dans
ce même parvis de Notre-Dame, ou plus d’un livre
hérétique avait été brûlé sur sa réquisition, et à être
enfermé au mont St-Michel, où il mourut le 8 janvier
1536, suivant son épitaphe. La faculté de théologie,
qui s’était cotisée en sa faveur, lorsqu’il partit
pour le lieu de son exil, lui fit faire un service solennel
après sa mort, auquel Robert Ceneau, évêque
d’Avranches, officia pontificalement, et prononça son
oraison funèbre. Ses ouvrages, écrits sans goût et
d’un style barbare, annoncent quelque connaissance