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blié, annonça que la cinquantième allait être donnée au profit des mères nourríces. La chose eût été bien s’il se fût contenté de cette simple annonce ; mais il voulut profiter de l’occasion pour faire insérer dans le Journal de Paris une lettre dans laquelle, à côté des éloges les plus éclatants pour lui-même, il se livrait à une amère diatribe contre l'administration et contre les censeurs de ses pièces. La querelle s'envenima ; Beaumarchais, qui s’était attaqué à Suard, fut accablé par les réponses aussi piquantes que polies de cet habile adversaire. La police aurait dû se contenter de ce triomphe ; mais l’auteur de Figaro fut envoyé à St-Lazare, mesure d’autant plus maladroite, qu’à sa sortie de cette prison infamante, il fut payé plus d'un million à valoir sur ses comptes avec le gouvernement, et qu’il reçut du contrôleur général Calonne une lettre très honorable au nom de Sa Majesté. Les représentations du Mariage de Figaro reprirent leur cours ; la soixante-douzième n’attira pas moins de monde que la première ; presque tous les ministres y assistèrent. Le public fit à l'auteur les applications les plus flatteuses, entre autres celle-ci : « Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant. » Peu de jours après (septembre 1785), le Barbier de Séville fut représenté sur le petit théâtre de Trianon, dans la société intime de la reine, et l’auteur fut admis à cette soirée. C’était Marie-Antoinette elle-même qui jouait le rôle de Rosine ; le comte d’Artois celui de Figaro. L’on a considéré avec raison les scandales auxquels donnèrent lieu le Mariage de Figaro comme une des premières scènes de la révolution. Quant au mérite littéraire de la pièce, le temps n’a fait que confirmer les critiques faites alors sur sa longueur démesurée, sur les invraisemblances du 5e acte, sur l’indécence de plusieurs situations, sur le cynisme du style, hérissé partout de bons mots satiriques et de calembours licencieux : mais le temps a confirmé aussi le succès du 2e acte, qui est plein de combinaisons et de mouvements dramatiques. Enfin, quoique dépouillé de cet intérêt de contradiction et de curiosité qui en rendit les premières représentations si piquantes, l’ouvrage n’a jamais cessé d’attirer la foule. La chute de Calonne, chassé par les notables en 1787, vint tarir pour Beaumarchais la source de ces riches ordonnances qui décuplaient ses capitaux engagés dans des entreprises publiques ; il se fit en même temps siffler à l’opéra et au palais. Fondant toute sa poëtique théâtrale sur la même pensée, sur le même caractère, il changea son valet Figaro en un soldat de fortune, Tarare, qui renverse le tyran Atar et devient roi à sa place. C'était au fond le même ordre d’idées. Figaro, sous la livrée, gouverne tour à tour par l’astuce et l’impudence ; le soldat Tarare, par la force, la persévérance et l'audace. Jamais production plus monstrueuse n’avait paru sur le théâtre de l’Opéra (8 juin 1787), où l'on ne se piquait pourtant pas de régularité dramatique. Le style était digne de la conception de l’ouvrage. À côté de la Nature et du Génie du feu, exprimant les idées les plus communes dans le galimatias le

plus guindé, on entendait des bergers et des laboureurs chanter leurs goûts innocents dans un langage d’une platitude à laquelle on ne croirait pas, si nous n’en citions cet exemple :

Nos tendres soins
Sont pour nos foins,

Et notre amour pour la pâture.

Toutefois, la bonne compagnie, qui s’était prononcée pour Figaro, ne s’émerveilla pas moins pour Tarare, et surtout pour l'indécente création du rôle de Calpigi. Pendant qu’il s’occupait de la mise en scène de Tarare, Beaumarchais fut impliqué dans un procès d’adultère intenté par un sieur Kornman, banquier. Dans un mémoire rédigé par Bergasse, l’auteur de Figaro était accusé d’avoir protégé tous les désordres de la dame Kornman, et employé les moyens les plus vils et les plus insolents pour déshonorer son mari. Dans ce terrible écrit, le caractère du héros de tant d’intrigues était peint avec une énergique crudité ; en un mot, Beaumarchais trouva dans Bergasse un adversaire dont l’éloquence mâle et sévère était fort au-dessus du talent moitié sérieux moitié bouffon qui avait accablé les Goëzman, les Marin, les d’Arnaud. Au lieu de cette raison hardie, de cette inépuisable gaieté qui avait fait la fortune de ses premiers mémoires, il ne put trouver que d’absurdes vanteries en sa faveur, que des plaisanteries sans grâce et des injures sans sel contre ses adversaires. Dans ses différents mémoires, Bergasse, traitant le sujet en question sous un point de vue sérieux, c’est-al-dire comme il devait toujours l’être, se montra le vengeur de la morale et terrassa Beaumarchais. Il alla même trop loin contre son adversaire, qui, selon son expression, suait le crime. Les magistrats, fidèles aux formes, crurent devoir imposer une amende à Bergasse ; mais des acclamations universelles furent le prix de son dévouement et de son courage ; il fut, comme Horace, condamné par les décemvirs et porté en triomphe par le peuple. Quant au fond du procès, si Beaumarchais y fut pleinement victorieux, il faut croire qu’il était bien fondé en droit ; car, en cette occasion, les dispositions du public ne lui étaient pas plus favorables que celles des juges. Cependant la révolution arriva. Beaumarchais, qui avait assez bien contribué pour sa part à accélérer ce mouvement, espérait en profiter ; mais il était loin d’en comprendre toute la portée, et il fut sur le point d’en être une des premières victimes. Les mécomptes et les humiliations ne lui manquèrent pas, sans lui ôter ses illusions. Il siégea d’abord dans l’assemblée des électeurs parisiens réunis à l’hôtel de ville, et qui prirent le nom de représentants de la commune. Lors des dons patriotiques, il envoya 12,000 livres à la commune ; mais il n’en fut pas moins exclu. Il publia alors un mémoire sous ce titre : Requête à MM. les représentants de la commune de Paris (Paris, in-8°), où il se vante d’avoir préparé la révolution par les traits hardis qui se trouvaient dans Tarare. Ce mémoire fit beaucoup