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tel point sur lui, que force fut à Gaillard et Dorfeuil, directeurs du théâtre de la République, de l’appeler à eux, en payant, pour le posséder plus vite, un dédit de 20 000 fr. C’est à Pâques 1795, après avoir passé deux ans au Marais, que Baptiste aîné, sur le théâtre de la République, porta la responsabilité et le poids des premiers rôles dans les deux genres (le répertoire de Talma excepté), jusqu’à l’époque de la réunion des deux troupes. Alors, avec cette modestie, apanage des vrais artistes ; il accepta une hiérarchie qui le reléguait a un rang assez modeste. Molé fut chef d’emploi ; Fleury venait aprés Molé ; après Fleury, St- Phal ; après St- Phal, Baptiste. Mais, le dernier sur cette échelle dramatique, il s’étudia à faire la conquête d’un emploi mixte ; et tout en doublant ses chefs de file, il leur arrachait et s’appropriait par le succès des rôles importants. C’est en procédant ainsi que, jeune encore, il conquit le rôle du capitaine dans les Deux Frères, rôle qu’il a joué pendant trente ans avec une originalité et un sentiment parfaits. L’âge, qui est pour tant de comédiens une époque de déception, fut pour Baptiste aîné une occasion nouvelle et un nouveau moyen de succès. En 1807, il changea d’emploi, et prit les péres nobles de la tragédie et de la comédie, éclipsant Vanhove, et substituant à son pathétique larmoyant une sensibilité noble et vraie qui allait au cœur, et qui ne coûtait rien au bon goût. Dans les deux phases de sa carrière théâtrale, Baptiste aîné fut l’un des acteurs les plus laborieux de la Comédie-Française. Il avait l’amour de son art au point d’en jouir en lui-même plus encore que dans les résultats qui se traduisent en applaudissements. Cette disposition le rendait heureux du succès des autres. Baptiste aîné se pénétrait profondément des caractères des personnages à représenter : il raisonnait savamment, et s’entendait a donner une physionomie déterminée à ses créations ; il excellait aussi dans le détail ; homme d’étude, on voyait qu’il avait suivi, ligne à ligne, mot à mot, l’intention de l’auteur, et cette qualité était rehaussée par une diction correcte et savante. Baptiste ainé avait une supériorité théorique incontestable ; mais dans l’exécution, il ne possédait pas autant d’avantages. La hauteur excessive de sa taille, une voix sourde et nasale, une vue d’une extrême faiblesse, furent pour lui des obstacles contre lesquels il eut toujours à lutter. À côté de ces défauts physiques, il avait aussi quelques-uns des défauts amenés par l’exagération des plus précieuses qualités acquises. Il laissait voir la méthode dans son débit, et dans ses développements scéniques il s’attachait trop à accentuer chaque syllabe, à jouer les points et les virgules. Son jeu muet péchait par la même exagération ; sa figure grimaçait à force de vouloir trop exprimer ses sentiments intérieurs. Les rôles ou Baptiste ainé a laissé des souvenirs durables sont, dans la tragédie, les vieillards à barbe blanche : Lusignan, Argire, Zopire, où il produisait de grandes émotions ; dans la comédie : le Glorieux, où il se présenta longtemps dans son jour le plus avantageux, car ce rôle était complétement approprié à ses moyens, et son talent s’y déployait librement, sans entraves ; Damis, de la Métromanie, qui lui permettait de bien dire, et où l’emphase, ce défaut de la manière savante, devenait une qualité ; Tartufe, si difficile à cause du tact qu’il demande, à côté de la chaleur qui l’anime ; le Distrait, l’Homme singulier, le Somnambule, les Châteaux en Espagne, rôles d’originalité ou de diction ; le capitaine des Deux Frères, cité déjà avec éloges ; le flegmatique Dorval, du Bourru bienfaisant ; M. de Clairville, de la Gageure, ou il sera difficile de le remplacer ; enfin le père de l’Enfant Prodigue, celui du Glorieux, le Philosophe sans le savoir, et son admirable et avant-dernière création, dans Orgueil et Vanité. Baptiste aîné fut professeur au Conservatoire. Un grand nombre d’acteurs de talent ont reçu de lui d’utiles leçons ; mais ses principaux élèves sont : madame Desmousseaux, sa fille, excellente duègne du Théatre-Français ; mademoiselle Demerson, qui porta d’une manière si brillante le tablier des Marton ; M. Cartigny, tour à tour acteur et directeur de théâtre ; M. Perlet, l’excellent comique du Gymnase ; madame Boulanger et M. Ponchart, de l’Opéra-Comique, M. Levasseur, de l’opéra, et Nourrit fils, qu’il appelait toujours son élève chéri. Après trente-sept années de service, savoir : trente-cinq années à la Comédie-Française et deux années au théâtre du Marais, qui lui furent comptées, Baptiste ainé prit sa retraite le 1er avril 1828 ; et sept ans après, le 30 novembre 1855, cet artiste distingué, cet homme honorable et laborieux, mourut aux Batignolles, dans les bras de son gendre et de sa fille M., et madame Desmousseaux.

BAPTISTE cadet (Eustache-Anselme dit), nature tout opposée à celle de son frère. Sa jeunesse fut orageuse et s’il fût né après la comédie de Picard, son père et sa mère eussent pu l’appeler le Philibert mauvais sujet de la famille. N’ayant jamais su ce que c’était que le travail, il fut avant tout un comédien d’instinct. Après avoir joué avec le plus grand succès en province d’abord, et à Paris ensuite, sur le théâtre Montensier, il débuta au Théâtre-Français, le 5 mars 1792, dans l’Amour et l’Intérêt, pièce assez faible de Fabre d’Églantine. Engagé peut-être à titre de farceur, Baptiste cadet prouva bientôt qu’il était comédien, et qu’il n’était pas de ces acteurs auxquels la nature n’a donné tout juste que la mesure d’esprit nécessaire pour faire la bête. Il s’habillait avec une grande exactitude comique ; il se grimait très-plaisamment ; il excellait surtout dans les excentricités comiques, et dans ce qu’on appelle les bouts de rôle. Dans l’Officieux, une espèce d’accessoire lui suffisait pour fixer sur lui les regards ; il était parfait dans l’huissier Michel de l’Intrigue Épistolaire, dans le père des Fourberies de Scapin, dans Michel des Étourdis. Les rôles de paysans faisaient également partie de son domaine dramatique. Baptiste cadet faisait beaucoup avec peu ; et c’est là le vrai talent du comédien ; mais ce n’est pas à dire qu’il manquât d’haleine pour les grands rôles : dans le Tambour Nocturne, il joua le rôle de M. Pince, l’un des meilleurs de Préville ; et l’on s’accorda à reconnaître qu’il n’était pas possible de mieux soutenir une concurrence effrayante et de dangereux souvenirs. On sait aussi