Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 3.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
BAN — BAN

en toujours d’une activité étonnante ; la fatigue ne le rebute pas plus que le danger ne l’arrête. À Otaïti il a la patience de se laisser peindre de noir, de la tête aux pieds, pour faire un personnage dans une cérémonie funèbre qu’il n’aurait pu voir autrement. Et ce n’est pas seulement pour voir, pour observer qu’il déploie son caractère : en tout lieu, bien que sans autorité légale, il semble prendre naturellement le rang que lui auraient donné en Europe les conventions de la société. Il est toujours en avant : il préside aux marchés, aux négociations ; c’est à lui qu’on s’adresse des deux parts dans les embarras ; c’est lui qui poursuit les voleurs, qui recouvre les objets volés. S’il n’eût retrouvé ainsi le quart de cercle qui avait été adroitement enlevé par un insulaire, le but principal de l’entreprise, l’observation du passage de Vénus sur le disque du soleil, aurait été manqué. Une seule fois il n’osa se faire rendre justice ; mais ce fut lorsque la reine Obéréa, l’ayant logé trop près d’elle, lui fit, pendant la nuit, voler tous ses vêtements ; et l’on conviendra qu’en pareille occurrence il n’eût pas été galant de trop insister sur en son bon droit. Cette sorte de magistrature à laquelle il se trouva porté tenait à ce que, dès lors, sa figure, sa contenance étaient faites pour inspirer du respect, en même temps que sa bonté soutenue captivait l’amitié. Il donnait aux sauvages des outils d’agriculture, des graines de plantes potagères, des animaux domestiques ; il veillait a ce qu’on ne les maltraitât point, et même à ce qu’on les traitât avec indulgence lorsque les torts étaient de leur côté. » On comprend qu’ainsi aimé des naturels de l’Océanie il trouvait toutes les facilités nécessaires pour remplir ses caisses et ses portefeuilles. Aussi ses récoltes en tout genre furent immenses. Botany-Bay, dans la Nouvelle-Hollande, reçut alors le nom qu’elle conserve en mémoire de la multitude de végétaux qu’il en remporta. Malheureusement le navire éprouva quelque temps après, sur les récifs de corail de cette grande île, l’accident relaté plus haut, et presque toutes les magnifiques collections qu’il avait formées au prix de tant de peines et de dangers furent perdues ou endommagées au point qu’on eut des peines inouïes à les restaurer. Plus tard, Banks et Solander faillirent périr dans l’archipel de Batavia, victimes du climat meurtrier de ces îles. Ils échappèrent cependant, mais ils eurent le chagrin de perdre Toupia, chef otaïtien, qu’ils emmenaient en Angleterre, et dont l’esprit supérieur promettait à la fois et des renseignements à nos savants et d’utiles leçons à ses compatriotes, lorsqu’il serait revenu dans les îles qui l’avaient vu naître. Enfin, après avoir successivement parcouru les archipels de l’océan Pacifique, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Hollande, la Nouvelle-Guinée, les îles au sud de l’Inde, côtoyé l’Afrique, doublé le cap de Bonne-Espérance, et visité Ste-Hélème, l’Endeavour jeta l’ancre en Angleterre, le 12 juin 1771. — Un applaudissement universel accueillit les voyageurs à leur retour ; et le 10 août suivant, sur le désir formellement exprimé du roi, Banks et Solander, accompagnés du président de la société royale de Londres, John Pringle, lui furent présentés à Richmond. Banks profita de cette occasion pour offrir au monarque, dont le goût pour l’agriculture et la botanique était connu, des échantillons de graines rares et de plantes dont la naturalisation en Europe pouvait présenter des avantages ou contribuer à l’ornement des jardins. George III reçut de tels dons avec un plaisir sensible ; et dès ce jour il ne cessa de donner à Banks des marques de son intérêt. Aussi lorsque, deux ans après, Cook dut partir pour une seconde expédition, non-seulement il obtint sans peine l’autorisation de donner un nouvel exemple de ce genre si nouveau et si généreux d’entreprise qu’avait admiré l’Angleterre, il fut encore décidé en principe qu’il pourrait se donner sur le vaisseau les aises qui, sans gêner l’expédition, eussent rendu son dévouement et celui de ses amis moins pénible. Mais l’ombrageuse jalousie de Cook mit obstacle à des arrangements si justes ; et, soit mécontentement de voir sa gloire partagée, soit souvenir de quelques embarras qu’avaient pu lui occasionner, pendant son premier voyage, les égards dus à des gentlemen, il imagina tout ce qu’il put pour ôter à nos naturalistes l’envie de faire partie du second voyage, et fit de son chef détruire à bord de son vaisseau des préparatifs ordonnés par Banks. Ce dernier en fut piqué au vif, et déclara formellement qu’il renonçait à ses projets. — Toutefois, ne voulant pas que ses préparatifs demeurassent inutiles, il résolut de diriger ses efforts d’un autre côté. Au bout de quelques semaines (12 juillet 1772), un vaisseau nolisé à ses frais le transportait avec le docteur Solander, le Suédois Uno de Troil, depuis évêque de Linkœping, et quelques autres personnes, vers le nord de l’Europe. En passant ils visitèrent Staffa, restée inconnue, quoique déjà nommée par Buchanan, qui n’avait pas même parlé de cette grotte de 259 pieds de profondeur, qu’environnent des milliers de colonnes balsatiques dont la régularité naturelle simule celle des produits les plus corrects de l’architecture. Depuis que Banks, par son récit, eut attiré l’attention sur cette île merveilleuse dont la formation a donné lieu à des différends si vifs parmi les géologues, chaque année a vu des compagnies de curieux braver la mer orageuse qui baigne les Hébrides pour admirer cette configuration exceptionnelle. Faujas de St-Fond et Necker de Saussure, entre autres, s’y sont rendus, et ont visité les divers points de l’île avec un soin qui n’a été surpassé que dans ces derniers temps. — Les voyageurs arrivèrent ensuite en Islande. Cette île de glace, située aux confins de l’Amérique et de l’Europe, offre à ceux qui la visitent un spectacle non moins inattendu que les îles équatoriales dont la mer Pacifique est semée, et qui forment entre l’Asie et la côte ouest de l’Amérique un troisième monde, le monde maritime. Des neiges éternelles et des volcans se disputent l’empire de cette contrée polaire. qu’éclaire à certaines époques un jour de cinq semaines, que désolent des hivers de neuf mois, souvent prolongés jusque dans le cœur de l’été par