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contrées étrangères ; que pour commencer à comprendre la science, il fallait d’abord avoir des collecteurs. Peut-être aussi l’on pensait que ces collecteurs seraient longtemps à se montrer ; car il faut non-seulement du savoir et du temps pour récolter les éléments de l’histoire naturelle, il faut aussi beaucoup d’argent. Or, qui serait d’humeur a le fournir ? D’ordinaire, les savants ne sont pas millionnaires, et les millionnaires ne sont pas savants. Quant aux gouvernements, du temps de Banks, ils étaient encore fort peu sensibles aux progrès de l’histoire naturelle. C’est Banks qui, plus que tout autre, était destiné à faire cesser cette indifférence. En attendant le jour ou sa célébrité lui donnerait de l’influence, il méditait les œuvres des deux illustres naturalistes que l’Europe admirait. Déjà sa bibliothèque, plus riche de jour en jour, s’accroissait de tous les ouvrages relatifs à sa science favorite. Décidé à tous les genres de sacrifice pour arriver a l’apogée de la science, il herborisait beaucoup, et c’est un sacrifice en Angleterre ; car on n’herborise qu’a pied, et telle est la facilité des communications dans cette terre d’industrie, telle est surtout la tyrannie des usages, qu’un voyageur pédestre est presque toujours suspect. Du moins ne peut-on s’imaginer que ce soit un gentleman. Aussi plus d’une fois le jeune amateur de botanique fut-il pris pour un voleur ; et un jour que, harassé de fatigue, il s’était endormi il quelque distance de la grande route, des officiers de police m’emmenèrent sous prévention de vagabondage, et bien et dûment garrotté, devant un juge de paix de campagne, que l’aventure divertit singulièrement. — La nature de ses biens, pour la plupart situés au milieu de la campagne, facilitait beaucoup ses savantes excursions, qui, au reste, ne l’empêchaient en rien de veiller à la prospérité de ses domaines. Au contraire, il les améliorait à vue d’œil, sans être infidèle à la science à laquelle il s’était voué. Sa propriété principale, connue sous le nom de Revesby Abbey (dana le comté de Lincoln) se trouvait sur la lisière de ces vastes prairies marécageuses qui entourent la baie de Bolton, et dont l’aspect, analogue à celui des côtes planes de la Hollande, leur a fait donner le nom de cette contrée. C’est là que Banks passait la plus grande partie de l’année ; il perfectionnait l’art de conduire les canaux et d’élever les digues, art si important pour les dessèchements qui doivent rendre un jour d’immenses étendues à l’agriculture ; il peuplait de poissons à son choix les étangs et les petits lacs de ce terrain aquatique, et quelquefois il s’y livrait au divertissement de la pêche. C’est dans cet exercice qu’il contracta des liens d’amitié avec Jean de Montaigu, comte de Sandwich, qui plus tard devint chef de l’amirauté, et dont tant de découvertes importantes pour la connaissance du globe ont immortalisé le nom. « Si l’anecdote est vraie, dit Cuvier, elle offre un exemple de plus des grands effets que peut amener une petite cause ; car on ne peut douter que l’ascendant de Banks n’ait puissamment contribué à multiplier ces découvertes. S’il n’eut pas besoin d’exciter le comte de Sandwich à des expéditions auxquelles la volonté du roi s’engageait assez, toujours est-il vrai qu’il lui indiqua plus d’une fois les points ou il convenait le mieux de les diriger, et qu’il lui fit connaître les moyens les plus sûrs de les rendre profitables. L’exemple de ce ministre passa du reste et dans la suite en une sorte de règle, et les nombreux successeurs qu’il eut dans ce poste mobile crurent tous s’honorer en prenant les avis de l’homme qui lui en avait donné de si avantageux. » (Éloge de Banks, p. 4 et 5.) Quoique pressentant aussi combien un jour la haute protection du pouvoir aurait d’utiles résultats pour la science, et jetant en conséquence les fondements de l’autorité qu’il voulait avoir afin d’en faire rejaillir l’effet sur elle, Banks n’avait pas pris la résolution d’attendre qu’il fût bien en cour pour servir effectivement la cause de l’histoire naturelle. — Dés 1763, profitant de l’offre d’un de ses amis qui était capitaine de vaisseau, il fit un voyage au delà de l’Atlantique, et alla visiter les plages jusqu’alors inconnues du Labrador et de Terre-Neuve ; nous disons inconnues, car, bien qu’annoncées au monde depuis Gaspard de Cortereal, ces froides régions n’étaient visitées que par des pécheurs. C’est probablement pendant ce premier voyage que Banks acquit cet art heureux d’observation, ces habitudes, cette connaissance du moral des matelots et des indigènes qu’il déploya dans ses expéditions subséquentes. Aussi regrette-t-on que, même dés ce temps, le jeune voyageur n’ait pas publié le récit de ce qu’il avait vu et recueilli dans son excursion : peut-être comptait-il que quelques uns de ses compagnons de voyage se chargeraient d’un soin dont il ne voulut point leur dérober la gloire. Effectivement sir Roger Curtis, alors lieutenant sur le navire qui portait Banks au Labrador, et le capitaine Cartwright ont mis au jour diverses observations dont ce voyage a été l’origine. Peut-être aussi le chevalier crut-il avoir assez fait en rapportant de la plage transatlantique des produits différents de ceux que l’Europe connaissait, et en les plaçant dans ses collections, où bientôt plus d’un savant serait à même de les examiner et de les décrire. Peut-être enfin eut-il la modestie de ne voir dans ce voyage qu’un essai de ses forces, qu’une étude de sa tache à venir. — En effet, il était déterminé à s’expatrier de nouveau et pour longtemps, lorsque le gouvernement anglais équipa l’Endeavour, et en donna le commandement au capitaine Cook, le chargeant de visiter les archipels naguère entrevus par Byron, Wallis, Carteret, Bougainville, et surtout d’observer le passage de Vénus sur le disque du soleil, passage qui avait eu lieu en 1761, et qui devait se reproduire en 1780. Une même ardeur excitait a cette époque les trois puissances principales de l’Europe à faire preuve de quelque intérêt pour les sciences. L’apathique Louis XV lui-même avait signé la commission de Bougainville parlant pour le tour du monde avec Commerson ; et Catherine II courtisant les encyclopédistes français, alors dispensateurs de la renommée, ordonnait ces grands voyages en Sibérie, exécutés sous la direction de Pallas, et destinés aussi en partie à l’observation du passage de Vénus sur le