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MOR

nesse son ame se pénétrait de l’amour de l’humanité. Ce sentiment y domina toute sa vie ; mais, dans la crainte d’oublier quelquefois de l’exercer, il faisait graver sur l’émail de toutes ses montres la devise qu'íl avait adoptée dès son jeune âge : "ll est toujours l’heure de faire le bien. » L'aïeul de Moreau était, ainsi qu’on l’a dit, sénéchal de la Martinique, et le petit-fils, qui devait lui succéder, ne pouvait occuper cette magistrature qu’après s’être fait recevoir avocat : le sénéchal, sentant approcher ses derniers moments, fit appeler Moreau, alors âgé de seize ans, et lui indiqua l’endroit où il avait déposé soixante-six mille francs, qu'íl lui donnait pour aller étudier en France. Dès que le vieillard eut cessé de vivre, ses nombreux héritiers furent mis par son petit-fils en possession du trésor qui était destiné à lui seul. Lorsqu’il eut atteint sa dix-neuvième année, sa mère consentit enfin à ce qu'íl se rendit à Paris pour y compléter son éducation. Il y trouva des parents opulents, magistrats, officiers généraux, dont il fut accueilli et qui le présentèrent dans le monde. Il était grand, bien fait et d’une belle physionomie : on le fit recevoir gendarme de la garde. Toutefois il voulut être inscrit aux écoles de droit, et il entreprit sans maître l’étude du latin. De plus, il suivit avec assiduité les cours de mathématiques et de géométrie du collége Royal. Ses progrès dans la langue latine furent si rapides qu’au bout de quatorze mois il écrivit et soutint en latin sa thèse de bachelier en droit. C’est une chose remarquable qu’ayant étudié si tard et pendant si peu de temps, il ait su pour toute sa vie la langue de Cicéron, qu'íl parlait même avec une assez grande facilité. Sa mémoire était ornée des plus beaux passages des meilleurs classiques. Il en était de même du droit romain, dont il citait à propos le texte dans les discussions de jurisprudence. Dévoré du besoin de savoir promptement et aimant aussi le plaisir, il avait imaginé, afin d’avoir plus de temps à sa disposition. de ne dormir qu’une nuit sur trois. C'est ainsi qu'íl trouvait le loisir de vaquer à ce qu'íl devait ou voulait faire, sans négliger son service militaire. Après trois ans de séjour à Paris, Moreau de St-Méry, devenu avocat au parlement, repartit pour la Martinique. Sa mère était morte et sa fortune dissipée : il résolut de la rétablir en exerçant la profession d’avocat. Ce fut au cap Français qu'íl alla se fixer. Son premier plaidoyer décela un orateur éloquent et un jurisconsulte. Dès lors il prit rang à la tête de son ordre et son cabinet fut un des plus fréquentés. Fidèle à sa maxime, il se consacrait à la défense du faible et de l’innocent. Après avoir plaidé pendant huit ans et s’être assuré une fortune indépendante, Moreau fut nommé conseiller à ce même tribunal (le conseil supérieur de St-Domingue), où il avait honoré la profession d’avocat par un savoir étendu. un esprit brillant et rempli de sagacité, une éloquence qui, à Paris, l’eùt placé au rang des Gerbier et des Target. Il a publié un grand nombre de mémoires, la plupart remarquables, non-seulement par les quaités de l’écrivain, mais encore par les questions importantes sur le droit et sur l’administration coloniale, qui y sont traitées avec une grande profondeur. Dès sa jeunesse, il s’était occupé de l’histoire des Antilles et de la connaissance des lois dont elles avaient été l’occasion, et il n’avait cessé de réunir des matériaux à ce sujet. Il profita des loisirs que lui laissait sa nouvelle fonction pour rédiger ces matériaux, et pour en rassembler de nouveaux, spécialement sur les lois de St-Domingue, jusqu’alors éparses et souvent ignorées des magistrats eux-mêmes. Les travaux auxquels il se livrait étaient d’une importance trop grande à l’égard des colonies pour que le gouvernement ne les encourageåt point. Il lui donna le pouvoir d’explorer tous les greffes, tous les dépôts d’archives de la colonie ; ce qui mit Moreau dans le cas de visiter toutes les parties de St-Domingue. dont l’histoire particulière et la description l’occupaient aussi. Pendant une de ses excursions, il découvrit à San-Domingo, dans une ancienne église, le tombeau de Christophe Colomb, dont les habitants de la colonie ignoraient l’existence. Le ministère, pour compléter ses recherches, lui fit ensuite parcourir la Martinique, la Guadeloupe et Ste-Lucie. Appelé à Paris par ordre de Louis XVI pour s’occuper d’objets relatifs à l’administration des colonies et pour faire imprimer son grand travail sur les lois de St-Domingue, il trouva le temps de s’adonner à la culture des sciences et des lettres. Ce fut alors que, de concert avec Pilâtre de Rozier, il fonda le musée de Paris, dont il fut élu secrétaire (voy. Court de Gébelin), comme il avait été l’un des fondateurs de la société des Philadelphes, au cap Français. La révolution qui éclata en 1789 le trouva à Paris, et il s’en montra l’un des plus chauds partisans, fut un des électeurs, et devint vice- président de cette assemblée électorale qui, pendant un mois, exerça la puissance souveraine sur toute la France : l’assemblée nationale lui envoya des députations et le roi vint lui-même s’humilier devant ce pouvoir nouveau dans la journée du 17 juillet (voy. Louis XVI). Moreau présidait alors l’assemblée ; sa fermeté empècha du moins ce jour-là l’effusion du sang, mais elle ne put arrêter tous les désordres qui se prolongèrent encore plusieurs jours. Enfin le calme se rétablit, et le 30 juillet, l’assemblée se sépara en votant des remercîments à son président : elle décida même qu’une médaille serait frappée en son honneur. Moreau alla prendre place à l’assemblée nationale, où l’avait appelé le choix des colons de la Martinique. Il y défendit courageusement, contre l’opinion dominante, les véritables intérêts de la métropole et de ses colonies, dont personne autant que lui ne connaissait l’importance. Partisan de la liberté, il était l’adversaire