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temps : le conseil militaire devant lequel il devait paraître, l’instruction terminée, le condamnait ; à mort le lendemain (27 octobre), comme convaincu d’avoir, par un journal, constamment « provoqué à la révolte et au rétablissement de la royauté ; » et il n’est guère probable que sa présence aux débats eût empêché la sentence d’être rendue. Pour Giguet, il fut retenu prisonnier à peu près un mois, et ne laissa pas durant ce temps de courir un risque assez grave ; enfin pourtant il recouvra sa liberté. Le directoire suivit d’abord une marche plus conciliatrice que les gouvernements qui l’avaient, précédé. Michaud lui-même put sortir de sa retraite, et il parvint à faire purger sa contumace environ un an après l’époque de sa condamnation (octobre 1796). Il n’avait pas attendu ce moment pour reprendre sa collaboration à la Quotidienne qui de jour en jour comptait un nombre plus grand de lecteurs, le parti royaliste devenant à chaque instant plus nombreux. La hardiesse, peu calculée peut-être, dont plus d’une fois il avait donné des preuves, ne pouvait que s’accroître sous un gouvernement faible et divisé. Dusaulchoy, rédacteur du Batave, trouva en lui un défenseur à la barre des tribunaux, bien qu’il ne maniât pas aisément la parole dans une lutte sérieuse. La dispute de Chénier et de Louvet lui inspira quelque temps après la satire intitulée Petite dispute entre deux grands hommes. Il signait ses articles, qui le plus souvent passaient l’extrême-limite du franc parler que pouvait supporter le directoire ; à tel point qu’on peut lire dans le Moniteur une lettre de Mallet du Pan, qui invite le jeune rédacteur à s’abriter sous l’anonyme, de peur qu’il ne lui en mésarrivât. Michaud n’eut point égard à l’avis, et un temps se passa sans qu’il eût à répondre des attaques et chicanes de détail dirigées contre la révolution ; mais le jour vint où il faillit encore payer le tout. Ce fut après le 18 fructidor (4 septembre 1797). Le lendemain de ce coup d’Etat, qui ajourna les espérances des clichiens et de tant d’autres, il fut compris dans les listes de déportation, communes du reste à tous-les chefs de journaux en opposition au parti vainqueur. Ce qu’il y eut d’assez bizarre dans cette nouvelle proscription, c’est que Bourdon de l’Oise y fut

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inscrit comme Michaud, et que, moins heureux, il ne put se soustraire à la déportation. Forcé de se tenir caché tant que végéta le directoire, Michaud ne cessa pas d’habiter les délicieux rivages de l’Ain qu’il a chantés avec tant de vérité et de raison dans son Printemps d’un proscrit. C’est là qu’il ébaucha les premiers vers de ce poëme, achevé et publié quatre ans plus tard. Enfin la chute du directoire par la révolution du 18 brumaire lui permit de revenir à Paris, où il espérait bien reprendre ses travaux de journaliste royaliste jusqu’à une restauration que beaucoup de personnes croyaient prochaine ; mais entouré d’hommes qui savaient le vrai des affaires, il sut bientôt que si Bonaparte, pensait à relever le trône, ce n’était pas pour y faire monter un Bourbon ; et d’autre part les coups mesurés, mais fermes, que le nouveau maître porta aux journaux lui prouvèrent que désormais le journalisme ne pourrait plus se jouer quotidiennement du pouvoir, il se le tint pour dit lorsque, après, après avoir risqué deux petits pamphlets, les Adieux à Bonaparte (c’est-à-dire à sa gloire) en 1799, puis en 1800 les Derniers adieux à Bonaparte victorieux, composés l’un et l’autre par l’ordre de Louis XVIII, il se vit jeter par la police dans la prison du Temple, où il eut pour compagnons d’infortune Rivarol le jeune, Bourmont, Fiévée, etc. (1)[1]. Décidé dès lors, et surtout après la victoire de Marengo et la paix presque générale de Lunéville qui consolidait provisoirement l’état de choses né du 18 brumaire, à ne plus faire d’opposition qu’en silence et avec la circonspection voulue, il chercha des ressources dans la littérature proprement dite et dans le commerce d’imprimerie et de librairie. Associé à son frère et à Giguet, il commença par une Histoire de l’empire de Mysore sous Hyder-Aly et sous Typpoo-Saïb, 1801. Peu de temps après (1803) parut le Printemps d’un proscrit qui, quelque peu de vigueur que nous puissions lui trouver, sembla encore fort hostile soit aux coryphées, soit aux héritiers de la révolution, mais qui jouit d’un grand succès, tant à cause des élégants vers descriptifs dont il était rempli que parce qu’une situation réelle et grave l’avait inspiré, et aussi parce qu’en dépit de tout, l’éclat du règne qui commençait sous le nom de consulat pour continuer sous celui d’empire, l’esprit d’opposition semblait loin d’être éteint. Ce poëme fut même honorablement mentionné dans le rapport de l’Institut sur les prix décennaux qu’avait annoncés Bonaparte, mais qu’il n’osa

  1. (1) Du reste, les deux brochures que nous avons citées ne furent point cause de l’arrestation de Michaud à cette époque. Comme elles étaient écrites avec beaucoup de ménagement et d’égards, nous avons lieu de croire, et Michaud lui-même en a depuis eu la preuve, qu’elles ne blessèrent point trop vivement Bonaparte, et que sa police eut ordre de les laisser circuler sans obstacle. L’arrestation, de J. Michaud, qui arriva un peu plus tard, fut causée par une méprise de la police, qui le prit pour son frère, et le soupçonna d’avoir participé. à un complot royaliste avec Pichegru, qu’il ne connaissait même pas.