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d’arrêt, sortait du souterrain des Cordeliers pour former de nouveaux complots... » Ces nouvelles révélations du journaliste retentirent alors dans toute la France, et madame Brune, qui avait voulu blanchir la mémoire de son mari, éprouva sous ce rapport un bien cruel mécompte. Ce qu’il y eut encore de plus fâcheux pour elle, c’est que le jury acquitta Martainville l’unanimité. Enhardi par ce succès et par le débit de son journal, qui augmentait beaucoup, il ne garda plus aucun ménagement. Ce fut surtout à l’époque de la mort du duc de Berri, où l’indignation publique donna un peu de vigueur et d’influence l’opinion royaliste, qu’il accusa avec le plus de force tous ceux que ’on put considérer comme ayant contribué à ce malheureux événement. Le ministre Decazes fut particulièrement l’objet de ses attaques ; et elles furent si violentes, que le favori de Louis XVIII ne crut pas pouvoir se dispenser d’y répondre. Dès le lendemain, il formula contre Martainville une plainte au procureur du roi, et il l’accompagna des réflexions suivantes, qu’il publia dans les journaux officiels seulement, car les journaux royalistes ne les eussent pas reçues : « J’ai méprisé jusqu’ici, comme je le devais, les outrages dont quelques libelles m’ont rendu l’objet, et dont la cause et le principe m’honoraient trop pour que je songeasse à m’en plaindre. L’intérêt de la société me commande aujourd’hui de ne pas laisser impunie l’infâme calomnie dont le sieur Martainville vient de se rendre coupable dans le numéro de ce jour (15 février 1820) du journal qu’il ose intituler le Drapeau blanc. Ses lâches accusations insultent bien plus à la douleur publique qu’elles ne m’insultent moi-même, et c’est au nom de la société, bien plus encore qu’au mien, que je vous les dénonce et que j’en demande à la justice éclatante réparation. » Cette plainte, déposée au parquet su procureur du roi, n’y fut sans doute pas accueillie, car elle n’eut point de suite, et ce qu’il y eut de plus fâcheux pour le ministre, c’est que lui-même perdit sa place peu de jours après. Les royalistes eurent alors un peu de crédit, et Martainville en profita autant qu’il était en lui. Mais ce triomphe ne dura pas ; les lois sur la presse devinrent bientôt plus sévères, et ce fut principalement sur les feuilles royalistes que pesa cette sévérité. Martainville, plus que tout autre, se vit en butte à une foule d’attaques personnelles à Paris et dans les départements. Obligé d’aller se défendre lui-même, loin de son domicile, il courut souvent de très-grands dangers, notamment à Châlons. Martainville se rendait alors à Bourg, où la susceptibilité du général Chastel lui fit subir une légère condamnation par la cour d’assises de l’Ain (voy. Chastel). Plus heureux devant les tribunaux de Riom, de St-Omer et de Toulouse, où il fut successivement traduit par des susceptibilités du même genre, Martainville se défendit toujours lui-même, sinon avec une grande éloquence, au moins avec autant de courage que de présence d’esprit. Dans toutes ces villes il fut accueilli par les acclamations et les vivat des royalistes. Mais tous ces déplacements lui coûtaient fort cher, et il n’était pas toujours soutenu par son parti, comme il l’avait espéré ; il éprouva quelques dégoûts dans une carrière aussi difficile, et dans laquelle il était souvent poursuivi et combattu par ceux-là mêmes qui auraient dû le défendre. Son rôle ressemblait ainsi à une espèce de don quichottisme, et il avait trop d’esprit pour ne pas s’en apercevoir. Il parut alors y renoncer, et, depuis l’année 1820, on ne le vit plus soutenir de procès dans les départements ; mais il essuya encore de rudes assauts dans la capitale, notamment le 31 juillet 1822, au théâtre de la Porte-St-Martin, où les libéraux s’étaient donné rendez-vous pour faire émeute contre une troupe de comédiens anglais, auxquels le ministre Corbière avait permis de s’établir à Paris. Martainville, y ayant paru dans une loge, se vit tout à coup assailli par les menaces et les insultes du parterre, qui demandait à grands cris son expulsion, et qui fut tout près d’escalader la loge où il se trouvait. Ferme et impassible, il brava pendant plusieurs heures un péril évident, et ne voulut pas se retirer, malgré les prières du commissaire de police et du commandant de la force armée qui l’en conjuraient. « Je suis sous la sauvegarde de l’autorité, leur disait-il ; si je suis assassiné, j’aurai fait mon devoir. Vous n’aurez pas fait le vôtre. » Il ne céda que vers la fin du spectacle aux instances d’un de ses amis, et sortit par une porte de derrière. Cette circonstance fut la dernière où Martainville courut d’aussi grands dangers. Toujours en butte aux attaques des journaux de l’opposition révolutionnaire, il leur répondait dans le sien avec autant d’esprit que d’à-propos. Mais comme il arrive en pareil cas, le public se lassa de cette polémique, et le Drapeau ne conserva pas assez d’abonnés pour se soutenir sans appui. L’imprimeur Dentu vendit sa portion, et Martainville fut obligé de mettre l’entreprise en actions ; ce qui eut peu de succès. Ainsi le Drapeau blanc ne se soutenait plus qu’avec peine, et Martainville lui-même, atteint par la goutte depuis longtemps, était dans un état de santé fâcheux, lorsque survint la révolution de juillet 1830, qui mit le comble à ses souffrances. Il se retira à Sablonville, près Paris, et y mourut le 27 août de la même année. — Sa femme, madame Caroline Martainville, fort distinguée par ses talents en musique et en peinture, l’une des cantatrices de la chapelle du roi, ne lui survécut que peu de jours. Elle avait composé la musique de plusieurs romances et nocturnes. Martainville a publié : 1° les Suspects et les Fédéralistes, vaudeville en un acte et en prose, Paris, an 3 (1795), in-8° ; 2° le Concert de la rue Feydeau, vaudeville, 1795, in-8° ; 3’ la Nouvelle Henriotade, ou Récit de ce qui s’est passé relative-