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1815, lorsque Bonaparte, échappé de l’île d’Elbe, se dirigea sur Paris, Martainville se fit remarquer parmi les royalistes qui s’enrôlèrent pour la défense de la royauté, et il leur adressa une lettre très-énergique, qu’il fit imprimer et afficher dans tout Paris. Napoléon étant devenu maître de la capitale, Martainville se réfugia dans une modeste maison de campagne, qu’il possédait au Pecq, sur la Seine ; et il s’y trouvait encore lorsque le général prussien Blücher passa le fleuve, dans le mois de juin suivant, pour se porter sur Versailles. Cette circonstance a donné lieu à l’une des plus absurdes calomnies que l’esprit de parti ait jamais pu imaginer. On a dit, et même on a imprimé que Martainville, dont la maison fut pillée, dévastée par ces mêmes Prussiens, et dans laquelle il était seul avec sa femme, n’ayant pas une épée ni un pistolet pour se défendre, leur avait livré le passage de la Seine, que certes il n’était pas en son pouvoir d’empêcher ni de permettre… Et peu ant n’on l’accusait si ridiculement, Martainville se hâtait d’accourir à Paris, pour faire imprimer et distribuer aux chambres une adresse par laquelle il les conjurait d’aller se jeter aux pieds du roi Louis XVIII, leur déclarant qu’elles n’avaient pas d’autre parti à prendre. On sait combien de haines et d’inimitiés ces manifestations suscitèrent à Martainville. La première circonstance où elles éclatèrent fut la représentation de Germanicus, tragédie d’Arnault, dont il rendit un compte sévère dans le Journal de Paris. Le fils de l’auteur crut devoir venger la gloire de son père par des injures et des voies de fait sur la personne de Martainville, qui, à son tour, lui intenta un procès, et le fit condamner à un jour de prison et cinquante francs d’amende ; ce qui ne l’empêcha pas de lui en demander encore raison, dès le lendemain, d’une autre manière. Ils se battirent au pistolet et échangèrent plusieurs balles, dont l’une effleura légèrement Martainville. On pense bien que la politique eut plus de part à cette affaire que la question littéraire[1], et cen’était pas le seul procès que dut attirer à Martainville l’ardeur de ses opinions. Il quitta alors, comme il l’a dit, par incompatibilité, le Journal de Paris, feuille sans couleur et beaucoup trop insignifiante, pour s’associer à la rédaction de la Ovfltidîwwt puis à celle de la Gazette de France. Quoique ces journaux fussent bien plus conformes à son caractère et à ses opinions, il ne pouvait pas toujours s’y exprimer avec autant de chaleur qu’il l’eut désiré, et d’ailleurs les honoraires de sa rédaction étaient loin de suffire à ses besoins et à ses goûts, qui furent toujours fort chers. Ce fut donc pour avoir lus de liberté, et sans doute aussi pour gagner plus d’argent, qu’il fonda, en 1818, le journal le Drapeau blanc, en société avec l’imprimeur Dentu. Persuadé qu’une telle entreprise ne pouvait réussir qu’en se faisant remarquer par sa hardiesse et son indépendance, Martainville y donna un libre cours à ses pensées. Toujours d’ailleurs fort attaché à la monarchie des Bourbons, il redoubla de zèle et d’énergie pour combattre tous ceux qu’il considérait comme les ennemis du trône et de la religion. Et ce n’était pas seulement dans son journal qu’il manifestait ainsi ses opinions : chaque soir, établi dans le café Valois, où se réunissait tout ce que le (parti royaliste avait de plus exalté, il s’y livrait à de violentes invectives contre les ministres et quelquefois même contre le roi. Lors de la nomination de soixante pairs, et de celle du ministre de la police Decazes, qui furent publiées un jour de carnaval, il composa une satire pleine de fiel et d’énergie, que le cynisme des expressions ne nous permet pas de reproduire, et il la lut hautement plusieurs reprises au milieu du café. À la même époque, il présenta dans son journal, sous les couleurs les plus odieuses, le maréchal Brune, qui avait été égorgé par la populace d’Avignon (voy. Brune). La veuve de ce maréchal l’ayant poursuivi devant les tribunaux comme calomniateur, il se défendit lui-même avec beaucoup de courage ; et pour justifier ses attaques contre le maréchal, il dévoila des circonstances de sa vie encore plus odieuses que celles qu’il avait d’abord signalées. « Ceux qui ont conservé quelques souvenirs, dit-il, des premiers temps de la révolution, se rappellent l’infâme journal intitulé la Bouche de fer ; ils voient encore dans la rue du Théâtre-Français cette porte devant laquelle le passant reculait effrayé par une tête de Furie, de Gorgone révolutionnaire dont la bouche hideuse, sans cesse béante, dévorait toutes les immondices qu’y jetaient les fournisseurs qui l’alimeutaient volontairement. Le lendemain, ces horreurs se reproduisaient dans les feuilles criminelles, où l’injure n’était point déversée sur un sujet rebelle, sur un clubiste forcené, sur un agent de la plus atroce tyrannie, sur un général concussionnaire, mais sur tout ce qu’il y a de plus sacré parmi les hommes, sur les personnages augustes dont l’image ne s’offre plus à nos yeux que rayonnante de l’auréole du martyre. M. le maréchal Brune, qui n’était alors que Brune l’imprimeur, eut imprudence, la faiblesse de prêter l’exécrable entreprise de « la Bouche de fer sa maison, ses presses, et quelquefois sa plume... Ce que tout le monde sait, c’est que Brune avait pour ami et pour collaborateur dans son journal un personnage trop fameux dans notre histoire, l’horrible Marat, qu’il accompagnait la nuit lorsque cet étrange ami du peuple, frappé d’un mandat

  1. On a attribué à Arnault l’épigramme suivante :

    Pour sa conquête d’Afrique,
    À Scipion l’on applique
    Le surnom de l'Africain
    Pour une action perverse
    Ne peut-on en sens inverse
    Rendre célèbre un faquin,
    Et nommer cette âme vile
    Qui du Pecq livra la ville
    Martainville le Pecquin!