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consacra sept ans à cette seconde éducation. Plein de complaisance et toujours prêt à communiquer ses idées quand il croyait pouvoir être utile à ses amis ou servir la littérature, Markland fournit à Taylor beaucoup de remarques sur Lysias[1] ; à Ward, qui donnait une seconde édition du Maxime de Tyr de Davies, d’excellentes notes sur ce philosophe ou plutôt ce sophiste platonicien ; à Bowyer, qui réimprimait le traité de Küster sur le Verbe moyen, de judicieuses observations ; à Richard Arnald, commentateur du livre de la Sagesse, quelques notes ; à Mangey, de nombreuses et en général de bonnes corrections sur Philon. Mangey dit même, dans sa préface, que pendant tout le cours de l’ouvrage « il a été aidé par les soins, les conseils, le jugement de Markfand : » ce qu’il ne faut pourtant pas prendre trop à la lettre ; car Markland avait souligné ces mots dans son exemplaire et écrit à la marge, qu’il n’avait pas vu une seule page de tout l’ouvrage, avant l’entière publication des deux volumes. Au mois de février 1744, la place de professeur de grec dans l’université de Cambridge vaquait par la mort de Walter Taylor, qui n’est pas le Taylor nommé tout à l’heure, et quelques amis l’engagèrent à se mettre sur les rangs. Mais il se refusa à leurs désirs ; et l’on nomma Fraigneau, du collége de la Trinité : en 1750, Fraigneau résigna pour pouvoir se marier ; et Markland, sollicité une seconde fois, refusa une seconde fois de postuler, par modestie et absence d’ambition, comme ses lettres le font croire : peut-être joignait-il aussi un peu de prévoyance, et ne voulait-il pas courir la chance d’un refus, plus contrariant que le succès ne pouvait être agréable. En effet, l’élection dépend de quatre ou cinq électeurs dont trois sont nécessairement de la Trinité, et se servent de leur majorité pour porter un membre de leur collége. Depuis 1572 jusqu’à présent, c’est-à-dire dans un espace de deux siècles et demi, il n’y a eu que quatre exceptions : Downes, du collège de St-Jean ; Widdrington, du collége de Christ ; Barnes, du collége Emanuel ; et le prédécesseur du célèbre Porson, Kooke, du collége du Roi. Pour que Markland, du collége de St-Pierre, pût être nommé, son mérite et ses titres littéraires ne suffisaient pas : il lui fallait les trois voix de la Trinité, que l’esprit de corps assurait presque d’avance à l’obscur Fraigneau, ou à tout autre trinitaire. Pressé par l’amour de la vérité et le zèle de la critique, Markland, le plus circonspect des hommes et le moins offensif, entra dans la querelle qui s’était élevée entre Tunstall et Middleton. Tunstall avait attaqué authenticité de la correspondance de Cicéron et de Brutus, dont Middleton avait fréquemment et sans défiance employé l’autorité dans son Histoire de l’orateur romain. Middleton avait fait à Tunstall une réponse qu’il croyait victorieuse, lorsque celui-ci répliqua par de nouveaux arguments plus forts et plus nombreux, que Markland confirma du poids de son autorité. Ses Remarques sur les Lettres de Cicéron à Brutus et de Brutus à Cicéron (Londres, 1745), si elles ne convainquirent pas Middleton, au moins le réduisirent au silence. Il y joignit une dissertation où il attaquait l’authenticité de quatre harangues, que jusqu’alors on avait toujours et sans contestation attribuées à Cicéron. Il prétend qu’elles sont supposées, et ont été écrites par quelque rhéteur. Ces quatre discours, condamnés comme tels, sont ceux que nous lisons dans les éditions sous les titres : Ad Quirites post reditum, — Post reditum in senatu, — Pro domo sua, — De haruspicum responsís. Cet ouvrage fit beaucoup de bruit ; il eut des partisans, et plus encore d’adversaires. Ross, du collége de St-Jean, qui depuis donna une excellente édition des Lettres familières de Cicéron, et parvint plus tard au siége épiscopal d’Exeter, Ross publia tout aussitôt, avec l’aide de Gray et de quelques autres peut-être, une brochure très-satirique, où il attaquait, « d’après la manière de Marliland », l’authenticité des plaidoyers de Cicéron pour P. Sylla et, pour Milon, de deux Catilinaires, et par occasion, de deux sermons de Tillotson, et d’un sermon d’Atterbury. Ce genre de récrimination est plus facile et plus amusant que solide. Markland, bien loin de répliquer à ce pamphlet, ne daigna pas même le lire. Il avait écrit sur son exemplaire : « Je n’ai jamais ouvert ce livre. » Markland, qui se taisait, fut défendu par le savant imprimeur Bowyer, qui répondit à Ross, mais ne toucha pas assez à la question principale. Toute cette controverse semblait oubliée, lorsque Gessner la ranima, en 1753 et 1754, par deux dissertations, insérées dans le tome troisième des Mémoires de l’académie de Gœttingue ; il y soutient les quatre discours attaqués, en suivant Markland pas à pas, discutant et réfutant chacune de ses objections. L’opinion de Gessner entraîna celle de toute l’Allemagne ; et bientôt il n’y eut guère qu’un très-petit nombre d’hommes curieux des moindres détails de l’histoire littéraire qui connussent ces débats et la part qu’y avaient prise Middleton, Tunstall, Markland et Gessner. Mais en 1801 M. Wolf fit revivre la querelle. Il donna une édition des quatre discours, où il se range absolument à l’avis de Markland et le fortifie par de nouvelles remarques. Aux notes du critique anglais, qu’il a mises en latin, ignorant qu’el es avaient déjà été ainsi traduites en Angleterre, il a joint avec une louable impartialité les dissertations de Gessner. Nous ignorons quel effet cette publication a pu produire : pour nous, nous avouerons avec franchise que les observations de Markland et de M. Wolf ne nous ont pas convaincu. Markland avait eu aussi

  1. Il a joint à ses observations sur Lysias quelques remarques sur une vingtaine de passages du Nouveau Testament, qui, au jugement du célèbre Valckenaer, valent mieux que les volumes entiers d’observations de certains philologues sacrés.