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toutes les parties de l’administration civile et militaire : tout fut soumis au système fiscal. Il paraît néanmoins que ce prince eut d’abord des intentions louables. Il publia quelques bons règlements[1] ; il abrogea quelques impôts ; il en diminua d’autres : il réduisit et fixa la quotité des corvées ; il abolit même la servitude des paysans ; et cependant leur nombre, qui se trouva de cent quarante-sept mille familles dans le premier dénombrement qu’il ordonna, n’eut que de soixante-dix mille dans un second en 1745, et se trouva réduit à trente-cinq mille dans la suite, soit par l’émigration des mécontents, soit parce que plusieurs familles obtinrent, avec de l’argent, n’être pas inscrites sur les registres civils. Mais lorsque Maurocordato se vit, à diverses reprises, dépouillé de sa principauté par les cabales de ses rivaux, il ne se montra pas plus délicat sur les moyens de s’y maintenir ; et sa plus grande faute fut d’avoir augmenté d’un million cinq-cent mille francs, le tribut que la Valachie payait à la Porte, à l’avènement d’un nouvel hospodar. Cette mesure mit non-seulement le comble aux malheurs du pays ; elle fut même la source de la disgrâce de son auteur. Les Turcs, intéressés à se procurer le plus souvent possible cette somme, ont changé continuellement les hospodars[2]. Les peuples n’en ont été que plus écrasés d’impôts ; et les princes avilis ne sont plus que des fermiers amovibles de la Porte. Aucun d’eux n’a donc fait plus de tort à la Valachie que Constantin Maurocordato. Déposé en 1761, rétabli en 1754. dépossédé de nouveau en 1718, réintégré en 1756, révoqué en 1759, nommé pour la dernière fois hospodar en 1761, il fut enfin disgracié complétement en 1763, et mourut, sans doute peu d’années après, dans un âge assez avancé. Les intervalles de ses divers règnes depuis 1751 jusqu’en 1761 furent remplis par sept princes dont trois de la famille Racowitza et quatre de celle de Ghicca, qui tous gouvernèrent plus d’une fois la Valachie ; et depuis la dernière époque, les mutations n’en ont pas moins été fréquentes. On peut juger par là de la situation de ce malheureux pays.


MAUROLYCO (François), le premier géomètre de son temps, naquit à Messine, le 16 septembre 1494, d’une famille grecque, originaire de Constantinople. Après avoir achevé ses études avec distinction, il embrassa l’état ecclésiastique, et renonçant à la littérature qui avait fait jusqu’alors son amusement, il s’appliqua tout entier aux mathématiques, science dans laquelle son père fut son seul maître. Il s’y livra sans ménagement, au point qu’il en tomba malade, et depuis, sa santé fut toujours languissante ; mais dès qu’il fut en état de reprendre ses études, il les continua constamment avec la même ardeur ; et sa persévérance fut couronnée par le plus brillant succès. Sa réputation s’étendit bientôt dans toute la Sicile ; et quoiqu’il eût préféré rester dans sa retraite au milieu de ses livres, il fut obligé de céder aux sollicitations du vice-roi Jean de Véga, qui le pressait de paraître à la cour. Maurolyco se chargea d’enseigner la géométrie au fils ainé du vice-roi, et tant qu’il consentit de rester à Palerme, il partagea sa table, et eut un logement dans son palais. Parmi les seigneurs qui brillaient alors in la cour de Sicile, le marquis de Geraci se faisait remarquer par la politesse de ses manières et surtout par son goût pour les sciences. Il conçut pour Maurolyco une affection si vive, que bientôt il lui fut impossible de s’en séparer ; et comme leur amitié était réciproque, Maurolyco l’accompagna dans ses voyages à Naples et à Rome où l’habile géomètre reçut du cardinal Alexandre Farnèse un accueil très-distingué. Le marquis de Geraci craignit qu’il n’accédât aux propositions avantageuses qu’on lui adressait pour le retenir à Rome, et il se hâta de le ramener en Sicile ; mais, pour le dédommager des sacrifices qu’il lui avait faits, il lui donna la riche abbaye de Santa Maria del Parto, et lui assigna en outre une pension de deux cents écus d’or, pour l’engager à donner des leçons de mathématiques au collège de Messine. Tous les étrangers de distinction qui arrivaient en cette ville s’empressaient de le visiter ; et l’on en cite plusieurs qui avaient entrepris le voyage uniquement pour le voir et pour le consulter. Les plus grands mathématiciens de l’Italie recouraient à ses lumières, et ne le consultaient jamais en vain. Maurolyco, comblé d’honneurs, entouré de la considération et de l’estime publique, parvint à une extrême vieillesse. La mort du marquis de Geraci, son ami et son bienfaiteur, fut le premier chagrin très-vif qu’il eût ressenti ; il se retira dans une campagne près de Messine pour s’y préparer, par la méditation et la prière, à sa fin prochaine ; il y termina sa longue et honorable carrière le 21 juillet 1575. Ses restes furent transportés dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Messine, et déposés dans un tombeau décoré d’une épitaphe rapportée par la plupart des écrivains qu’on citera dans la suite de cet article. Les compatriotes de Maurolyco ont cru le louer en vantant ses connaissances astrologiques et son talent pour les prédictions ; mais nous imiterons la sage circonspection de Tiraboschi,

  1. Si l’on s’en rapportait au témoignage de M. W. Wilkinson, consul anglais en Valachie, ce serait à Constantin Maurocordato que cette province devrait sa littérature. « Ce prince, dit-il, entreprit en 1735 de donner à ce peuple une grammaire, et tira ses caractères du grec et de l’esclavon. Il fit faire une édition de la Bible en cette langue, et ordonna que l’Évangile fût lu dans les églises régulièrement. En peu d’années cette langue fut régularisée, et la connaissance des lettres devint familière aux boyards, qui auparavant savaient à peine signer leur nom. » Description des principautés de Valachie et de Moldavie, Londres, 1820 (en anglais) ; et dans la Biblioth. universelle, juillet 1820, t. 14 ; Litt., p. 269.
  2. Cet abus a duré jusqu’à la paix de 1812. La Russie stipula, dans ce traité, que les hospodars resteraient au moins sept années en place voy. le Voyage de Moscou à Constantinople, par Mac-Michaël, Londres, 1819, in-4°, et la Bibliothèque universelle de Genève), avril 1820 ; Litt., t. 13, p. 343).