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bientôt d’opinion, en le voyant combattre et faire repousser une loi relative à une distribution gratuite de blé aux prolétaires. En cessant les tondrions de tribun, il se mit sur les rangs pour l’édilité curule, et fut rejeté. Il demanda le même jour l’édilité plébéienne, et eut le chagrin d’éprouver un second refus. Dans la suite il sollicita la préture ; et sur six préteurs à nommer, il fut élu le dernier ; encore l’accusa-t-on d’avoir acheté des suffrages, et il ne fut absous qu’à l’égalité des voix. Le gouvernement de la Bétique lui échut par le sort, et il s’attacha d’abord à purger le pays des brigands qui l’infestaient. À l’expiration de son pouvoir, il rentra dans Rome ; mais privé de fortune et de protecteurs, il resta sans emploi : toutefois la simplicité de ses mœurs et son courage lui avaient mérité l’estime publique ; et il obtint en mariage Julia, tante de César. Métellus, désigné pour continuer la guerre contre Jugurtha, le prit avec lui comme son lieutenant. Marius n’oublia rien pour se faire un parti dans l’armée, soit en partageant les fatigues et la nourriture des soldats, soit en les flattant, soit enfin en décriant la conduite de son général (voy. Métellus Numidique). Il réussit par ce moyen à persuader à chacun qu’il était seul capable de terminer la guerre. Quelque déplaisir que Métellus éprouvât de voir l’attachement des soldats pour Marius, il fut obligé de lui accorder un congé qu’il lui demanda pour venir à Rome solliciter le consulat : Marius ne mit que six jours à franchir la distance qui l’en séparait ; et il employa si bien le peu de temps qui restait jusqu’aux comices, qu’il fut désigné consul d’une voix unanime l’an 647. Il leva aussitôt de nouvelles légions, et il y admit contre l’usage des hommes qui ne payaient aucune contribution (capite censi), et même, suivant Plutarque, des esclaves ; il affecta ainsi de braver publiquement les patriciens, auxquels il reprochait de ne devoir le rang qu’ils occupaient qu’aux vertus de leurs ancêtres, tandis que son élévation était le prix de ses services : par là il s’attachait la multitude et se rendait redoutable au sénat qui l’avait humilié. Il repasse en Afrique ; et Métellus se retira, ne voulant pas voir un homme qui, pour prix de ses bienfaits, lui ravissait le facile honneur de terminer la guerre. Jugurtha, chassé de ses États, s’était réfugié à la cour de Bocchus, roi de Mauritanie, son beau-père, où il se croyait dans un asile inviolable ; mais Bocchus le livra par trahison à Sylla, questeur de Marius (voy. Jugurtha), et depuis ors son ennemi. Marius, quoique absent, fut élu de nouveau consul l’an 650, pour s’opposer aux Cimbres et aux Teutons, qui menaçaient d’envahir à la fois les Gaules et l’Italie[1] ; il se hâta de revenir à Rome et y obtint les honneurs du triomphe. Il s’appliquait à endurcir les soldats à la fatigue, leur faisant faire des marches forcées, et les obligeant à porter leurs armes, leurs hardes et les vivres nécessaires pour plusieurs jours. Il se montrait lui-même infatigable, et donnait l’exemple de la patience à souffrir les privations ; il punissant et récompensait avec justice, et, quoique sévère, il était chéri de toute l’armée. Il fut continué dans la charge de consul, malgré la loi qui mettait un intervalle entre chaque consulat, et il venait d’être honoré de cette dignité pour la quatrième fois (l’an 652-1O2), lorsqu’on apprit que les barbares approchaient. Il marcha aussitôt à leur rencontre, et vint camper sur les bords du Rhône, non loin de son embouchure. Il avait eu soin de se pourvoir d’une grande quantité de vivres ; mais afin d’assurer l’approvisionnement de son armée, il fit creuser jusqu’à la mer un canal appelé de son nom, et dont on voit encore des vestiges[2]. Les barbares trop nombreux pour pouvoir subsister dans le pays qu’ils occupaient, résolurent de se séparer. Les Cimbres se dirigèrent sur le pays des Noriques (la Bavière) ; et les Teutons s’avancèrent vers les Alpes, pour pénétrer en Italie par la Ligurie. Cependant Marius ne voulut point permettre à ses soldats de sortir du camp avant qu’ils fussent familiarisés avec les ennemis qu’ils devaient combattre ; et les Teutons désespérant de le forcer à en venir aux mains, continuèrent leur route. Mais il se mit aussitôt il les suivre, et jugea à propos de leur livrer bataille dans une plaine de la Gaule narbonnaise, auprès des Eaux Sextiennes (aujourd’hui Aix en Provence) : il les défit complétement[3]. Tandis que Marius célébrait sa victoire par un sacrifice, on lui apporta la nouvelle qu’il avait été élu consul pour la cinquième fois ; et les soldats en témoignèrent leur joie par de vives acclamations. Il alla ensuite au secours de Catulus Lutatius, chargé de défendre l’entrée de l’Italie contre les Cimbres. À son arrivée àn Rome, on lui offrit les honneurs du triomphe, qu'il refusa ; et il se hâta d'aller rejoindre l'armée, qu'il fit camper sur les bords du Pô, pour en défendre le passage. Les Cimbres ne voulant pas engager le combat avant l’arrivée des Teutons, dont ils ignoraient encore la défaite, envoyèrent des députés à Marius, lui demander des terres pour eux et les alliés qu’ils attendaient. « Vos alliés, répondit Marius, sont arrivés » ; et il leur fit voir les rois des Ambrons, arrêtés dans leur fuite par les Séquanais, qu’on amenait liés et enchaînés. Une bataille décisive eut lieu quelques jours après (30 juillet 653, avant J.-C. 101), dans la plaine de Verceil[4] et quoique la victoire fût due

  1. Les barbares tournèrent alors leurs pas vers l’Est ; et comme le dit Plutarque, ce fut un grand bonheur pour Marius auquel ils laissèrent le loisir de discipliner son armée.
  2. Le canal de Marius, depuis longtemps obstrué, se nomme le bras mort.
  3. Marius leur livra deux batailles à quelques jours de distance. On dit que dans la seconde il y eut plus de 100 000 hommes tués ou faits prisonniers ; mais Plutarque croit ce nombre exagéré. En mémoire d’un aussi grand succès, Marius fit élever une pyramide dont ou voit encore les vestiges près de St-Maximin.
  4. Plutarque et Florus donnent les détails les plus authentiques sur la bataille que Marius livra aux Cimbres. L’élite de leur armée y périt, et leur roi lui-même succomba. Le petit nombre de ceux qui échappèrent à cette destruction et aux massacres que firent, dans le camp même, les femmes furieuses alla, suivant l’opinion commune en Italie, se réfugier dans les montagnes du Véronais, du Vicentin et du pays de Trente. On a cru retrouver quelques-unes de leurs traces dans une contrée appelée les Sept-Communes, et qui est située dans les Alpes, à vingt-cinq miles de la ville de Vicence. Marc Pezzo, ecclésiastique, et descendant de cette colonie, a publié sur cette peuplade et sur son dialecte particulier un ouvrage curieux, dont la 3e édition, Vérone, 1763, a été traduite en allemand par E. F. S. Klinge, et insérée par Büsching dans son Magasin d’histoire et de géographie, t. 6 et 8.
    L-p-e.