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de ses offices de secrétaire de la chancellerie des dix magistrats de liberté et paix. Le second décret du 10, signifié le 17, porte que Nicolas Machiavel, olim (ci-devant) secrétaire, est exilé pour un an, sur le territoire florentin, et qu’il n’en peut et doit sortir sous peine de l’indignation de la seigneurie. Un troisième décret du 17, lui défend d’entrer dans le palais des hauts et magnifiques seigneurs. À ce sujet Ginguené a oublié quelques faits, il dit : « Machiavel, après quatorze ans de services utiles à sa patrie, fut d’abord destitué de son emploi, et confiné ensuite pour un an dans l’étendue du territoire de la république, avec défense de mettre le pied dans le palais de la seigneurie. Ce ne fut pas là le terme, ce ne fut même pas le commencement de ses malheurs. » Il ajoute en note : « Son sort fut décidé par trois décrets des 8, 10 et 17 novembre.» Il faut s’expliquer mieux. On porta le 17 un décret (qui fut évidemment un adoucissement de la peine prononcée par celui du 10). Ce dernier exilait le secrétaire pour un an, et lui intimait de ne pas sortir du territoire de la république, c’est-à-dire lui prescrivait de quitter Florence pour habiter le territoire et domaine florentin, qu’il faut distinguer de la ville proprement dite. Le troisième décret en date du 17, lui défendait seulement d’entrer dans le palais de la seigneurie sans lui ordonner de partir ; mais on en publia un autre de la même date, qui lui permit d’entrer dans le palais pendant toute la Journée du 17. La même autorisation lui fut accordée le 4 décembre 1512, le 21 mars et le 9 juillet 1513. Du reste, Ginguené est rentré dans l’exacte vérité en réfutant plus bas une assertion publiée relativement aux traitements qu’essuya Machiavel après cette rentrée des Médicis ; il n’en est pas moins vrai que ces modifications et ces autorisations partielles prouvaient qu’on éloignait le secrétaire en le ménageant. Il ne tarda pas à courir de grands dangers. On l’accusa de complicité dans la conjuration formée par Capponi et Boscoli contre le cardinal de Médicis, depuis Léon X. Il fut emprisonné et appliqué à la torture ; il dit lui-même : « Et j’ai été près de perdre la vie, que Dieu et mon innocence m’ont sauvée ; j’ai supporté tous les autres maux et de prison et d’autres, etc. » À l’avènement de Léon X, il fut compris dans une amnistie, et il dut sa délivrance la générosité de ce pontife. Ces terribles épreuves, auxquelles on ne résiste que par un courage extraordinaire, font connaître la force d'âme de Machiavel. Au lieu de se laisser abattre, il chercha un adoucissement à son sort dans l’étude et dans les lettres. Nous devons à ses infortunes ses ouvrages les plus connus : le Prince, les Discorsi dell’arte della guerra, ses Histoires, ses Comédies qu’il composa dans ses temps de repos et de loisir, et qui forment avec le recueil de ses lettres politiques, un des principaux monuments de la littérature moderne. Retiré à San-Casciano, il écrivait aux amis qu’il avait conservés, et faisait des vœux pour rentrer dans les affaires. Après la mort de Laurent de Médicis, Léon X, qui conservait une grande influence sur le gouvernement de Florence, se rappela Machiavel, et lui demanda les moyens de réformer l’administration. En 1521 on lui confia une mission auprès des frères mineurs, à Carpi. Il eut ordre ensuite de fortifier de nouveau la ville, et de traiter quelques affaires avec François Guicciardini, alors gouverneur de la Romagne. Enfin il fut employé dans l’armée de la ligue contre Charles-Quint. Cette commission fut la dernière occupation remarquable de sa vie. Revenu à Florence vers les derniers jours de mai 1527, il voulut prendre un médicament dans lequel il avait une grande confiance pour ses incommodités d’estomac ; mais bientôt surpris par de violentes coliques, il expira le 22 juin, âgé de 58 ans, après avoir reçu es derniers sacrements. La lettre suivante de son fils Pierre à François Nelli, professeur à Pise, détruit toutes les fables inventées sur sa mort : « Je ne puis, sans pleurer, vous dire que le 22 de ce mois, Nicolas, notre père, est mort de douleurs d’entrailles, causées par un médicament qu’il a pris le 20 de ce mois. Il s’est fait confesser ses péchés par le frère Matthieu, qui lui a tenu compagnie jusqu'à la mort. Notre père nous a laissés en grande pauvreté, comme vous savez.» De Mariette, fille de Louis Corsini, Machiavel avait eu cinq enfants : Bernard, Louis, Pierre, chevalier de St-Jean de Jérusalem. Gui, qui se fit prêtre, et Baccia, mariée à Jean de Ricci. Il était d’une taille ordinaire ; son teint avait une couleur olivâtre, sa physionomie vive annonçait la hauteur de son esprit ; dans les conversations il était gai et simple ; sa repartie était prompte et piquante. Causant un jour avec Claude Tolomée, celui-ci lui dit : « À Florence, les hommes ont moins de science et sont moins érudits qu’à Sienne, en vous exceptant cependant. » Machiavel répondit : « À Sienne, les hommes sont plus fous, sans vous excepter. » Quelqu’un lui faisant remarquer qu’il avait enseigné aux princes à être tyrans, il répondit : « J’ai enseigné aux princes à être des tyrans ; mais j’ai aussi enseigné aux peuples a détruire les tyrans. » Il fut enterré dans l’église de Santa-Croce, dans le tombeau de sa famille, où il resta gus de deux siècles sans aucune distinction. Ce fut lord Nassau-Clavering, comte Cowper, qui réveilla ses cendres refroidies et qui, protégeant l’idée du monument qui lui fut élevé, rappela à Florence qu’elle avait eu la gloire de produire un homme qui aurait excité l’envie de la Grèce savante et celle de Rome politique. Ce monument, placé dans l’église de Santa-Croce en 1787, est du ciseau d’Innoœnt Spinazzi ; il porte pour inscription : Tanto nomíni nullum par elogium, Nicolaus Macchiavelli obiit A. P. V. M DXXVII. Une figure