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plus vraisemblable, reçue à l’hôtel Lambert, était que Lebrun, ayant accompagné le nonce dans la galerie, doublait le pas en traversant les pièces peintes par Lesueur, et qu’alors le nonce l’arrêta en lui disant : « Voilà pourtant de bien belles peintures ! » Quoi qu’il en soit, une préférence quelconque de la part d’un grand dut choquer celui qui cherchait à fixer l’attention de la cour, et à s’attirer exclusivement, par l’allégorie de ses louanges, les bienfaits de Louis XIV, auxquels on sait qu’en effet Lesueur, comme le bon la Fontaine, n’eut point de part. Le caractère noble et simple, spirituel et naïf qui distinguait Lesueur dans ses ouvrages comme dans sa personne, excitait contre lui l’envie et le laissait sans défense. Modeste et sans ambition, mais sensible à l’injustice, il se permit une seule allégorie, où il s’est représenté triomphant de ses rivaux, comme le Poussin. « J'ai toujours tout fait, disait-il, et je ferai tout encore pour en être aimé. » En effet, il fallait être bien fortement prévenu pour ne pas aimer l’auteur en voyant ses ouvrages. Mais les compositions qui l’occupaient à l’hôtel Lambert, quoique dans le genre gracieux, fatiguaient ses organes, épuisaient ses forces. Persécuté, resté veuf et seul, une maladie de langueur détermina sa retraite chez les chartreux, où la reconnaissance l’avait souvent accueilli. Ce fut dans ce pieux asile qu’il mourut en 1655, à l’âge de 58 ans. S’il est vrai que Lebrun, l’étant venu voir à ses derniers moments, ait dit avec une joie secrète, après avoir fermé les yeux à Lesueur, que la mort venait de lui ôter une grande épine du pied, ce trait ainsi raconté par un chartreux même (Bonaventure d’Argonne), témoignerait à quel point l’amour-propre et l’envie peuvent mettre un homme honnête en opposition avec ses sentiments. Lesueur fut inhumé à St-Étienne du Mont, où la simple épitaphe qui fut gravée sur sa tombe est aujourd’hui effacée[1], tandis qu’un plus digne monument a reçu la cendre de Lebrun à St-Nicolas du Chardonnet, et qu’un autre a été érigé au Poussin dans le Panthéon romain, à côté de Raphaël. Mort sans enfants, Lesueur n’a laissé que des neveux, dont un des descendants directs est devenu célèbre dans la composition musicale (voy. Lesueur Jean-François). Secondé par ses frères Pierre, Philippe et Antoine, et par son beau-frère Goulay, il ne forma point d’école. Laurent Colombel et Claude Lefebvre furent seul ses élèves, tandis que l’école de Lebrun comptait de nombreux disciples. C’est ce qui peut expliquer comment Lesueur ne fut point épargné, même après sa mort, et comment une main jalouse ayant endommagé plusieurs peintures du cloître des Chartreux, les religieux furent obligés de les couvrir de volets fermant à clef. Ses figures, d’une expression si vraie et en même temps si gracieuse, opposées aux figures de Lebrun, faisaient paraître celles-ci dures et moins naturelles, quoique expressives. Les tableaux de Lesueur respiraient, ainsi que ceux du Poussin, la vertu, mais une vertu douce et de plus une aimable mélancolie, qui rappelait trop un artiste mort, comme Raphaël, au milieu de sa carrière. Pour achever de faire connaître l’homme aussi bien que le peintre, nous allons indiquer, en y joignant quelques remarques, ceux de ses ouvrages dont le caractère exprime le mieux l’esprit qui les a produits : 1o St-Paul guérissant les malades et délivrant un possédé devant l’empereur Néron. C’est le tableau d’admission de l’auteur à l’académie de St-Luc. On y voit dès lors cette unité d’intention qui fait concourir diversement les traits, les gestes, les attitudes des différents personnages à l’action et à l’expression générale. Dès avant la révolution qui, en 1795, a dispersé les tableaux des églises et des établissements particuliers, plusieurs des ouvrages de Lesueur ont été, comme lui, méconnus ou peu respectés. Celui-ci fut acquis par un particulier. Depuis il a fait partie du musée du Louvre, et ensuite de la collection de Lucien Bonaparte. On le trouve gravé par Massard père dans le Musée français de Robillard. 2o La Salutation angélique, ou l’Annoncation. À la différence de la Vierge du Guide, qui, saluée par l’ange, joint ses belles mains et plaît par la douceur attachante de ses regards, la Vierge modeste de Lesueur baisse les yeux, en croisant les mains sur sa poitrine, signe expressif de l’humilité et du recueillement. L’artiste a répété ce geste dans le St-Bruno en prière, et dans la Ste-Scolastique peinte pour Marmoutier, où d’Argenville dit qu’il existait une Annonciation de Lesueur, ainsi qu’à Paris, dans la chapelle du président Turgot. La Salutation angélique est annoncée dans la notice du musée du Louvre comme gravée par Bosse : cependant Landon la donne comme inédite, et la distingue d’une autre Salutation, gravée, en effet, par Bosse, pour un office de la Vierge, ainsi qu’on l’a dit plus haut. 3o La Vie de St-Bruno, en vingt-deux tableaux, peints sur bois, et terminés en 1648. Le petit cloitre des Chartreux, où fut retracée cette histoire, avait déjà été peint en 1350, à fresque, et sur toile en 1508. Le prieur de cette maison, ayant fait l’offre, en 1776, des tableaux de Lesueur pour la galerie du Louvre, ils furent enlevés, mis sur toile et retouchés dans les parties dégradées. Mais ils n’ont été pleinement restaurés que plusieurs années après, au palais du Luxembourg, d’où ils ont passé, suivant leur destination, au musée du Louvre. Cette collection a été gravée par Chauveau, ou d’après ses dessins, en un volume in-fol., avec des vers latins et fran-

  1. Le rétablissement de cette épitaphe est ingénieusement supposé dans un tableau représentant l’intérieur de cette église, exposé au salon du Louvre, en 1817 (par madame de Manne). Cependant, puisqu’on a rétabli en 1818 à St-Étienne les pierres tumulaires de Racine et de Pascal, on devrait placer la tombe de Lesueur à côté de celle de Racine, comme on eût dû reporter près de Pascal celle de Descartes, dont une rue voisine garde encore le nom.