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les sujets religieux. Reçu maître à l’ancienne académie de St-Luc, il peignit pour elle un St-Paul imposant les mains aux malades, morceau d’expression qui attira l’attention du Poussin. Malheureusement ce grand artiste, nommé alors premier peintre du roi, ne fit qu’un court séjour a Paris. Mais de retour à Rome, il prenait la peine de dessiner des croquis de modèles du meilleur style qu’il envoyait à Lesueur. Depuis la mort de Vouet, d’après les conseils du Poussin, Lesueur ne s’était plus occupé que d’étudier les bons maîtres italiens, et surtout l’antique, mais d’après un petit nombre de copies et encore moins d’originaux. S’étant marié en 1642, sans autre ressource principale que son travail ni d’autre recommandation que son talent, il se trouvait fixé à Paris ; et il dut tirer en grande partie de son propre fonds tout ce qu’il acquit dans la composition et le dessin, sans aller à Rome. Cependant on voit, par l’espèce des sujets et l’époque des gravures, qu’il dessina d’abord des Thèses de théologie, dont une gravée à la date de 1645, des Frontispices de livres, entre autres une Annonciation pour un office à l’usage des chartreux ; qu’il peignit des portraits de Vierge en médaillon pour des religieuses ; qu’il grava lui-même une Ste-Famille de sa composition ; eutin, qu’il composa quelques sujets moraux ou allégoriques de circonstance : Minerve et la reine Anne d'Autriche, Louis XIV et le cardinal Mazarin, la Vertu au roi, etc. Mais la simplicité et la candeur de son caractère le rendaient peu propre à se produire à la cour. Bien que la reine mère le nommât son peintre, et le chargeât de décorer le cloître de la Chartreuse de Paris, ce que Félibien et Perrault ne disent point, la collection des tableaux de l’histoire de St-Bruno, qu’il peignit en trois années, lui fut payée médiocrement ; tandis qu’une Vision de St-Bruno, peinte dans le même temps par le Guerchin, pour les Chartreux de Bologne, valut à celui-ci trois mille cinq cents francs de notre monnaie. La galerie de la Chartreuse, peinte par Lesueur, offrait, dès les premiers tableaux, bien moins un élève de Vouet qu’un disciple de Raphaël, dont elle lui a mérité le nom ; mais, dans les suivants ainsi que dans les derniers, sous le rapport de l’expression des sentiments et des affections les plus intimes, il n’est comparable qu’à lui-même : son génie, son goût, c’est son âme ; il n’a pris ni l’un ni l’autre dans Raphaël. Les tableaux nombreux de cette galerie n’ont pu être tous exécutés par lui ; tous l’ont été sur ses dessins : mais ceux qu’il a lui-même terminés se distinguent non-seulement par leur disposition grande et simple, par la justesse et la naïveté des expressions, la vérité et la grâce naturelle des attitudes, le jet aisé et noble des draperies, mais par une délicatesse de correction, une suavité de ton, et une vérité de clair-obscur, analogues au genre et au mode de la composition. Lors de la création de l’académie de peinture, en 1648, époque de l’achèvement de cette galerie, Lesueur fut du nombre des douze anciens membres ou professeurs, et chargé de peindre le tableau que présentait au 1er mai le corps des orfévres de Paris à l’église Notre-Dame. Lebrun, à son retour d’Italie, s’était signalé en peignant le tableau du mai. L’émulation, plutôt que le modique prix de quatre cents francs attaché à ce travail, fit produire à Lesueur, en 1649, le St-Paul prêchant à Éphèse, où il mit son nom ; véritable chef-d’œuvre de poésie et de mouvement, d’invention et de style, à côté duquel ni le St-André et le St-Étienne de Lebrun, pour le dessin, ni la Descente du St-Esprit de Blanchard, pour le clair-obscur, n’ont pu prévaloir. La réputation de Lesueur s’étendait, mais sans sortir de la sphère des communautés et des églises, ou des hôtels et des maisons particulières. Il acheva, en 1651, pour le monastère de Marmoutier, plusieurs tableaux, dont ceux qui nous restent expriment, par leur caractère touchant et ascétique, la perfection du genre qu’il avait embrassé. Entre autres églises de Paris qu’enrichit si dignement son pinceau religieux, celle de St-Gervais possédait, comme la métropole de Notre-Dame, un grand tableau, le plus capital de la nef, où, dans la peinture des deux frères Gervais et Protais, entraînés pour sacrifier aux idoles, Lesueur s’est élevé au plus haut degré de son talent. Malgré la sévérité de la composition, rien n’égale la grâce inimitable des têtes des deux saints. C’est cette même grâce aimable, mais noble, qui lui a fait traiter, dans un genre bien différent, les sujets les moins graves de le mythologie, en peignant avec autant d’amabilité que de décence, les Amours, les Nymphes et les Muses, dans l’hôtel du président de Thorigny, connu depuis sous le nom de l’hôtel Lambert. L’auteur s’y trouva en concurrence avec Lebrun ; et, quoique celui-ci visitant un jour le cloître des chartreux et, se croyant sans témoin, se fût récrié d’admiration à chaque tableau, le peintre de la galerie de l’hôtel Lambert put bien devenir jaloux de celui du salon des Muses, lorsqu’il le vit préféré, en sa présence, dans le genre même d’invention allégorique où il prétendait exceller. On rapporte que le nonce du pape étant venu voir les peintures de l’hôtel Lambert commencées depuis plusieurs années, Lebrun s’empressa de lui montrer en détail la galerie et le plafond de l’Apothéose d’Hercule. Ils passèrent ensuite dans la salle où étaient peints au plafond l’Apollon et le Phaéton de Lesueur. Le nonce, frappé des beautés du plafond, s’écria : « Celui-ci est d’un maître italien ; mais l’autre est una coglioneria » et il ajouta que c’était dommage qu’ils ne fussent pas tous les deux de la même main. Il est bien difficile de croire qu’un nonce eut traité avec un pareil mépris une composition vigoureuse, mais moins expressive peut-être que celle de la Caverne d’Éole dans le Phaéton de Lesueur. Une tradition