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neste. Delangle, commandant de l’Astrolabe, était débarqué avec plusieurs hommes de l’équipage le 10 décembre 1787, à l’île de Maouna, l’une de celles de l’archipel des Navigateurs, pour faire de l’eau : Lamanon et d’autres naturalistes s’étaient empressés de l’accompagner pour faire des recherches. Delangle, Lamanon et quelques-uns de leurs camarades furent cruellement assaillis et massacrés par les habitants. On a imprimé, à la suite de la relation du voyage de la Pérouse, un mémoire de Lamanon sur les poulettes ou térébratules de la mer de Tartarie, et un autre sur une corne d’ammon qu’il avait trouvée dans l’estomac d’une bonite. Ces écrits et quelques observations contenues dans des lettres également imprimées à la suite de ce voyage donnent une idée avantageuse de ce que cet ardent naturaliste aurait pu faire pour la science, si sa carrière n’avait pas été terminée avant le temps d’une manière si triste. On trouve encore de lui, dans le recueil du Musée de Paris, une Notice sur Adam de Crapone, habile ingénieur (voy. Crapone), un mémoire sur la théorie des vents, et notamment sur le mistral de Provence, un autre sur les crétins, un sur le déplacement des fleuves, etc. ; et dans les Annales des voyages (t. 5, p. 291), une Notice sur la plaine de la Crau, tirée de ses papiers inédits, avec un précis de sa vie, par Depping : mais le plus rare de ses ouvrages, et qui est même une des plus singulières curiosités bibliographiques, est son Mémoire litho-géognostique sur la vallée de Champsaur et la montagne de Drouveirre dans le haut Dauphiné, Paris, 1784, in-8°. Ayant reconnu dans ce livre des erreurs considérables, il en détruisit l’édition, à la réserve de douze exemplaires, dont la plus grande partie même périt avec lui. M. Ponce a fait insérer dans le Magasin encyclopédique, troisième année, t. 4, p. 45, un Éloge de Lamanon, qu’il avait lu à la société libre des sciences, lettres et arts, le 9 vendémiaire an 6, et qui se trouve aussi dans l’édition in-8° des Voyages de la Pérouse.


LAMAQUE[1], en latin Lamachus, général athénien du 5e siècle avant notre ère, est un de ces personnages auxquels ni Plutarque ni Cornélius Népos n’ont songé à consacrer un article spécial et dont en conséquence les lexicographes et biographes modernes ont ou manqué ou négligé la physionomie. Cependant divers passages épars dans Thucydide, dans Diodore, dans Justin, dans Frontin, dans Polyen, dans Plutarque lui-même, et surtout dans Aristophane[2], où Lamaque revient souvent et occupe des scènes entières, donnaient moyen de la recomposer. Sabbathier de Castres, dans trois articles distincts sur trois Lamaque[3], dont toutefois il finit par apercevoir ou soupçonner l’identité, et dans un autre sur un quatrième, qui est plus évidemment encore un des trois premiers[4], n’a pas même préludé à cette tâche. Lamaque était le fils d’un Xénophane ; et ce n’est que par un de ces jeux de mots du genre de ceux qu’il aime à multiplier qu’Aristophane l’appelle τὸν Γοργασου, évidente allusion a la Gorgone (τὴν Γοργoνα, τὴν Mορμóνα ; et ῷ γoργoλοφα) en relief sur son bouclier. Rien n’indique à quelle tribu, à quel dème il appartenait ; mais on ne peut douter qu’il fût Athénien et d’origine citoyenne : étranger ou métèque, il ne serait point parvenu au commandement[5] ; et l’impitoyable comique, objet lui-même de tant d’attaques comme faux Athénien, n’eût pas manqué de signaler le même défaut chez le général. Lamaque dut naître de 472 à 465 avant J.-C. ; il pouvait être dans sa dix-huitième année quand Cimon mourut au siège de Citium (1351). Sa pauvreté, son peu de goût pour les travaux du commerce, de l’industrie, de l’agriculture ou des mines, et la médiocrité de ses dispositions intellectuelles ne laissaient pas d’autres voies ouvertes à son activité. En revanche il avait toutes les qualités qui constituent un militaire : hardi, robuste, brave, aimant le bruit et l’éclat, bien qu’aimant aussi ses aises et le plaisir, très-haut de taille et la rehaussant probablement par ces triples aigrettes sur lesquels Aristophane est intarissable, il ne pouvait qu’être excellent soldat. On peut croire que sur-le-champ, ou peu s’en faut, il fit partie d’un corps d’élite, et même d’un corps à cheval : le plaisant diminutif ῶ χαῖρε, Δαμαχιππίον par lequel le désigne Aristophane, au lieu de dire Δαμαχιδιον, n’est pas le seul indice

  1. Amyot écrit Lamachus comme Lysimachus, etc., formes qui ne sont ni grecques ni françaises, et que réprouve le génie de notre langue. Les terminaisons en us sont, en le sait, étrangères au grec ; et, chez nous, lorsque, après la substitution de l’e muet à la flexion de déclinaison, le radical restant renferme plus d’une syllabe, on n’exprime en syllabes sonores que le radical. Aujourd’hui, on lit partout Lysimaque,Callímaque,Nicomaque, Constantin Monomaque, Télémaque et Lamaque.
  2. Thucydide, liv.6. — Diodore, liv. 12 pp. 120 de l’éd. Rodeman, Hanau, 1634; et surtout liv. 13 (p. 134). — Plutarque, Vie d’A1cibiade et Vie de Nicias. — Aristophane dans les Acharniotes et la Paix.
  3. Il y en a même cinq. Mais celui qu’il place le quatrième n’es point un général : c’est tout simplement le sophiste dont nous-même dirons un mot à la fin du présent article. Quant au cinquième, voy. la note suivante.
  4. Ce quatrième (ou 6e) Lamaque, suivant le lexicographe, aurait vécu vers 300 avant J.-C. et manqué une expédition sur Héraclée, fidèle alors à l’alliance d’un roi de Perse, d’un Grand-Roi. La méprise est inconcevable, car la monarchie du Grands-Rois cessa dès 330 avec Darius Codoman et en 300 régnait le premier des Séleucides, Séleucus Nicator. D’autres circonstances d’ailleurs montrent bien qu’il faut remonter de deux siècles et dire vers 500 avant J.-C., indication moins grossièrement fautive, mais fautive encore, car en 600 Athènes n’avait nulle relation avec les Grands-Rois. La vraie date dut tomber de 475 à 400 ; et, ceci posé, la moindre attention nous ramène à notre Lamaque et à l’an 426. L’erreur du reste n’est pas le fait du hasard : elle est complète et fondamentale. Sabbathier, malgré la flagrante identité des faits (car ceci n’est point de l’analyse,c’est de l’identité), n’a pas, comme pour les trois premiers Lamaque, émis le soupçon de l’identité des personnages ; et la place qu’il donne au Lamaque en question (la 5e, après Lamaque sophiste et panégyriste d’Alexandre), démontre qu’il l’a cru chronologiquement postérieur à ce dernier.
  5. Nous ne prétendons pas que, seule, cette origine étrangère suffit pour exclure infailliblement : Nicias, Cléon, passaient pour étrangers. Mais Nicias était le plus riche citoyen de l’Attique ; Cléon ne fut promu au commandement que par un caprice de la démagogie athénienne, qui prit au mot une de ses forfanteries (et d’ailleurs on sait combien on aurait tort de prendre à la lettre les jeux de mots de l’auteur des Chevaliers, sur le Paphlagonien. Cléon était vraiment citoyen).