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vertes. Plusieurs fois depuis, Lechevalier revint dans les plaines arrosées par le Scamandre et le Simoj monta sur l’lda, interrogea, Homère à la main, les ruines, les tombeaux, les rochers, les caps, les fontaines, le cours des fleuves, tout, jusqu’aux sinuosités et aux ondulations du terrain. Il essaya de constater l’exactitude des descriptions du grand poete et la réalité d’un siège que quelques savants onttenu pour fabuleux. Ce fut aussi de 1785 à 1786 que Lechevalier visita et étudia les monuments de Constantinople, parcourut les rivages de la mer de Marmara, ceux du Bosphore et de la mer Noire, et recueillit les observations dont se compose son Voyage de la Propontide et du Pont-Euxin. De l’aveu du général Andréossy, du duc de Raguse, d’Edward Dodwell et de l’historien des croisades, Michaud, le Voyage de la Propontide et du Pont-Euxin est encore aujourd’hui un des meilleurs guides des voyageurs qui étudient ces pays classiques. À la suite de ses travaux et de ses découvertes dans la Troade et sur les rivages de la Propontide, Lechevalier fut envoyé par le comte de Choiseul-Goullier à Yassi, pour y remplacer Blanc d’Hauterive auprès de Phospodar de Moldavie, en qualité de secrétaire. L’ambassadeur aurait voulu s’approprier ses découvertes dans la Troade, et ce fut dans ce but qu’il l’éloigna de Constantinople. « Qu’avez-vous besoin, lui disait-il, d’aller parler de la Troade chez l'internonce! » Il aurait voulu l’empêcher de fréquenter les membres du corps diplomatique et le séquestrer de toute société : l’envoi à Yassi en devint le moyen. À cette époque, Potemkin saccageait la malheureuse ville d’Oczakow, et mettait tout le pays environnant a feu et à sang. Lechevalier avait reçu l’ordre d’observer les événements de la campagne et du siégé, et d’en rendre compte aux ambassadeurs près la Porte et la cour de Vienne. Fidèle à son pays et à ses devoirs, il travailla pendant dix-huit mois a remplir avec honneur la mission délicate et non sans danger qui lui était confiée ; mais ayant été informé que les machinations de la plus odieuse jalousie se tramaient contre lui, il en donna avis aux deux ambassadeurs, et quitta Yassi[1] pour rentrer en France, ou déjà les premières explosions révolutionnaires avaient éclaté. Dans ce voyage, il s’arreta quelque temps à Vienne, fut invité aux fêtes de la cour, où l’empereur Joseph l’accueillit avec bonté, et l’entretint de ses travaux et de ses découvertes. Il revint à Paris, où il fut sur le point d’épouser une demoiselle Thouin, qui était alors une des berceuses du dauphin, et qui depuis se maria au conventionnel Leclerc, de Maine-en Loire (voy. Lecugne Tnounv). En considération de ce mariage, la reine avait promis de faire obtenir à Lechevalier une place de receveur des finances. Mais les progrès de la révolution l’effrayèrent et le déterminèrent à reprendre ses voyages, soit isolément, soit comme gouverneur de jeunes Français et d’étrangers (MM. de la Boulaye, de Bulow, etc.). En 1791 et 1792, il passa en Allemagne, et fut reçu membre de l’académie de Gœttingue. Il alla ensuite dans le nord de l’Europe, parcourut le Danemark, la Suède, la Russie, la Hollande, la Belgique. Il se trouvait en 1794 à St-Petersbourg : on le chargea de venir chercher dans les Pays-Bas la comtesse Esterhazy, qui se trouvait avec ses enfants au milieu des armées belligérantes. Il se tira avec succès de cette mission difficile. Il repassa ensuite à Hambourg et de là en Angleterre, où il fit connaissance avec le banquier Coutts et avec l’un de ses gendres, sir Francis Burdett, l’un des membres distingués de la chambre des communes. qui ne dédaigna point de recevoir de lui des leçons de littérature. Lechevalier en donna aussi à lady Burdett et à ses sœurs, les comtesses de Buta et de Guilford, et il est resté jusqu’à sa mort dans une liaison intime avec cette famille. — Après la chute de Robespierre, il songea à rentrer en France ; le commissaire français, chargé à Londres de l’échange des prisonniers, lui en fournit les moyens en lui confiant ses dépeches pour le ministre de la marine, Truguet, qu’il avait connu dans le Levant lorsque celui-ci commandait le Tarletou, et qui fut bien surpris en voyant entrer dans son cabinet l’abbé Lechevalier transformé en courrier ; car à Constantinople et jusqu’en 1789, Lechevalier avait porté le titre d’abbé et le costume ecclésiastique, sans être engagé dans les ordres. Talleyrand, alors ministre des relations extérieures, i’attacha à son département avec un traitement de 4,000 francs, sans autres fonctions que celles de faire les honneurs de son salon et de Paris aux étrangers. On peut dire qu’il s’en acquittait à leur complète satisfaction. Aussi, à l’époque de la paix de 1805 et à celle de la restauration, tout ce qu’il y avait d’Anglais distingués le recherche avec empressement. Au 18 fructidor, Lechevalier, toujours soigneux de se mettre à l’abri des perturbations politiques, se hâta de passer en Espagne, avec la mission d’y porter le projet d’un nouveau système de poids et mesures. C’est dans ce premier voyage qu’il fut reçu membre de l’académie de Madrid. Après avoir visité cette capitale et les principales villes d’Espagne, il rentra en France à la fin de 1798. Il publia alors la première édition de son Voyage de la Troade. 1 vol. in-8°. Précédemment, il en avait donné de premières esquisses à Édimbourg, où l’académie,

  1. Le comte de Choiseul annonça son départ d’Yassi par une dépêche du 10 janvier 1788. On croit savoir que par suite de sa jalousie littéraire. il écrivit secrètement au ministre de la maison du roi pour faire mettre Lechevalier à la Bastille. À son arrivée. Celui-ci ne dut son salut qui quelques hommes puissants alors, notamment à Malesherbes. Le comte de Choiseul le poursuivit de sa haine, surtout depuis sa publication du Voyage de la Troade. Bien que cette découverte lui appartînt à juste titre comme véritable inventeur, Lechevalier s’en fût peut-être abstenu, si sa détresse en Angleterre. pendant la terreur, ne lui en eût fait une nécessité. Tous les voyageurs français et étrangers attribuent à Lechevalier le mérite et la priorité de la découverte de la Troade. On peut consulter l’ouvrage publié à Paris, eu 1840, par M. Mauduit, architecte de l’empereur de Russie.