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allures indépendantes pour le croire inféodé à aucun parti. Cependant le 2 juin, Larevellière prit chaleureusement la défense des vaincus, et témoigna de ses sympathies en déclarant qu’il voulait partager leur sort. À dater de ce coup d’État du parti montagnard, toute discussion à l’assemblée fut étouffée, et grâce au silence gardé par une imperceptible minorité, on eût pu croire que l’accord régnait sur tous les bancs. On tenait et constater cette unanimité au Moniteur. De son côté, Larevellière avait à cœur de constater son opposition aux mesures, selon lui, atroces ou extravagantes que la nouvelle majorité adoptait journellement. Les émotions répétées, les efforts nécessaires pour se faire entendre au milieu du tumulte et des vociférations avaient brisé ses forces. Épuisé, crachant le sang, miné par une fièvre lente, il ne pouvait plus monter les degrés de la tribune que soutenu par le bras de ses deux amis Pilastre et Leclerc. Vainement demandait-il l’appel nominal pour exprimer son vote ; on le refusait impitoyablement, afin de maintenir au procès-verbal la fiction de l’unanimité. Un jour enfin il déclara que, ne pouvant obtenir l’appel nominal, il prenait le parti de protester et qu’il cesserait d’assister aux séances jusqu’à ce que la liberté du vote fût rétablie. À cette déclaration, les cris : « Au tribunal révolutionnaire ! » partirent en foule de la Montagne. On agitait cette proposition, lorsqu’une voix, ou ne sait laquelle, s’écria : « Ne voyez-vous pas que le b… va crever ! il ne vaut pas le coup ! — Eh bien, crève donc tout seul, b… ! » répliquèrent d’autres voix. La chose en resta là pour l’instant, et Larevellière quitta la salle. Une heure après on s’était ravisé, et le comité de sûreté générale lança contre lui un mandat d’arrêt immédiatement converti en mise hors la loi. Presque en même temps ses deux amis furent décrétés d’arrestation. Pilastre s’échappa et vécut déguisé dans la vallée de Montmorency, où il se fit garçon menuisier. Leclerc fut arrêté et ne sortît de prison qu’après le 9 thermidor. Il dut sa liberté à l’heureuse évasion de ses deux amis, car on tenait à instruire simultanément le procès de ces trois représentants. Larevellière, contraint de fuir, trouva un premier asile chez un homme qui n’était pas encore mais qui devint plus tard son ami, et dont il avait fait connaissance dans la maison Thouin, au jardin des plantes. C’était le naturaliste Bosc, fort lié avec la plupart des girondins, et l’ami intime de Roland et de sa femme, laquelle lui avait confié sa fille avant de monter sur l’échafaud. Dès qu’il apprit le décret lancé contre Larevellière, et qui ne laissait, celui-ci étant saisi, que l’identité à constater avant de l’envoyer à la mort, Bosc s’empara du proscrit et le conduisit à l’ermitage de Ste-Radegonde, dans la forêt de Montmorency, resté jusque-là une solitude, malgré son rapprochement de Paris. Rien ne surpasse, dit-on, l’intérêt romanesque des récits de ces deux hommes sur les incidents de leur réclusion. Le courage et le dévouement incroyables de Bosc réussirent à cacher dans ce désert et à sauver plusieurs autres victimes de la persécution. De Buire, instruit de la retraite de Larevellière, et, persuadée qu’il ne pourrait rester longtemps sans être découvert, parvint à lui faire rappeler la parole jurée. Larevellière obéit a cette sommation d’une généreuse amitié, et, guidé par Bosc à travers des chemins écartés jusqu’à l’entrée de la plaine, il continua ensuite tout seul un long et périlleux voyage pour se rendre à trente-cinq lieues de là, au village de Buire, près Péronne. Sans argent, presque sans vêtements, si faible et si malade qu’il pouvait à peine marcher, exposé à rencontrer à chaque pas sur les routes les commissaires de la convention dont il n’était que trop connu, il n’échappa que par miracle aux dangers qui l’environnaient et ne parvint qu’après de nombreuses et pénibles journées au but de son voyage. M. et madame de Buire l’accueillirent comme un fils et le gardèrent jusqu’après le 9 thermidor. Il vécut là dans la plus cruelle incertitude sur le sort de sa femme et de sa fille, qui, retournées en Anjou avant sa proscription et sans nouvelles de lui, étaient menacées de la potence par les Vendéens assiégeant Angers, comme femme et fille de conventionnel régicide, et de la guillotine par les jacobins qui régnaient dans la ville, comme appartenant à un fédéraliste et un ennemi du peuple. Larevellière eut le bonheur d’ignorer longtemps, pendant sa prescription, la mort de son frère aîné, pour qui son profond attachement se mêlait à la plus vive reconnaissance, Ce dernier, partisan très-modéré et très-constant des réformes de 1789, avait rempli, depuis la chute du trône comme auparavant, des fonctions judiciaires et administratives, et avait péri sur l’échafaud, à Paris, en 1794, avec un grand nombre d’Angevins distingués par leurs lumières et leurs sentiments patriotiques, mais accusés comme lui de modérantisme et de fédéralisme[1]. À cette même époque, par un de ces contrastes fréquents dans les temps de révolution et de guerre civile, la sœur des deux Larevellière, madame Bellouard de la Bougonnière, catholique fougueuse et royaliste dévouée, cachait au péril de sa tête, dans sa maison d’Angers, une foule de chefs vendéens et de prêtres réfractaires. MM. d’Autichamp, de Suzannet, l’abbé d’Egrigny et beaucoup d’autres hommes connus étaient ses hôtes mystérieux, et le culte, partout proscrit, était secrètement célébré chez elle. Disons à la louange de cette famille que, malgré ces profonds dissentiments politiques et religieux, la mort seule brisa les liens de la tendre affection qui unissait la sœur à ses deux frères. Quelque brusques que soient d’ordinaire les réactions après

  1. ll laissait un fils, M. Victorin Larevellière, qui fut appelé à prendre part aux affaires du pays, sous Louis-Philippe, en qualité de député de Maine-et-Loire.