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yeux de l’impartiale postérité. Il vota donc la mort et se prononça contre le sursis et l’appel au peuple, aussi bien que contre l’exécution immédiate. Leclerc en fit autant mais Pilastre se sépara d’eux dans cette question, et vota la détention jusqu’à la paix, après avoir déclaré Louis XVI coupable avec la presque unanimité de la convention. Pour imposer silence dans cette occasion solennelle à ses sentiments doux et humains, il fallait que Larevellière crût sa conscience bien strictement engagée. Aussi a-t-il fait plus qu’émettre un vote il n’a pas craint de motiver son opinion dans deux écrits imprimés par ordre de la convention nationale. Cependant s’il regardait cette condamnation comme un acte juste et nécessaire, il n’en considérait pas moins toute exécution capitale comme une cruelle calamité, et quand l’année suivante la convention proposa de célébrer par une fête l’anniversaire du 21 janvier, il s’opposa de toutes ses forces à l’adoption du projet, ne voulant pas qu’une réjouissance publique vint consacrer la mémoire de ce drame sanglant. Les républicains se partageaient alors en deux camps opposés : les uns, ardents et emportés, passionnés pour la démocratie jusqu’à vouloir sauver à tout prix les conquêtes déjà réalisées ; les autres, moins impatients, plus confiants dans l’avenir que dans le présent, non moins attachés sans doute aux idées généreuses de 89, mais plus difficiles sur le choix des moyens propres à assurer le salut de la république. Au milieu de ces circonstances terribles, dans lesquelles la Gironde ne sut adopter aucun parti décidé, l’influence de la commune de Paris grandissait d’une manière effrayante pour tous ceux qui en redoutaient le despotisme. Larevellière était au premier rang. Mais s’il condamnait en principe les excès et les violences, il les blâmait également comme des fautes capables de compromettre la cause que ces actes prétendaient servir. Sous le titre de Cromwellisme il publia dans la Chronique de Paris (11 février 1795) une attaque virulente contre le parti déjà si puissant de la commune. Il faut se reporter à cette époque de luttes acharnées pour comprendre la véhémence du langage de l’auteur à l’endroit de ses adversaires politiques. C’était, selon lui, une secte d’aplatisseurs dont l’objet était de discréditer dans l’esprit de la multitude les vrais amis de la liberté et de l’égalité ; d’inquiéter les citoyens sur le sort de leurs familles, de leurs propriétés, de leur industrie, afin de leur faire regretter l’ancien esclavage et désirer un nouveau pouvoir absolu. Dans son indignation, il montre ces hommes acharnés à la perte des vrais soutiens de la liberté, poussant le parlement à des résolutions extrêmes qui le rendent odieux aux gens instruits, et faisant insulter ses membres les plus dignes « parce que après avoir abattu la royauté « ils ne voulaient pas culbuter l’État ; parce qu’ils « avaient la tête révolutionnaire et non désorganisatrice et antisociale. » « C’est ainsi, dit-il, que le peuple anglais, malgré son ardent amour pour la liberté, fut emmuselé par celui qui se disait sans cesse son protecteur et son ami. » À son avis, le gouvernement voulait de même démuseler la nation française. « Oui, s’écrie Larevellière, elle existe dans la république cette faction faible par le nombre, mais forte par son audace, dont le projet est de dissoudre la représentation nationale ou de la dominer par la terreur.... » Plus loin il ajoute : Ce parti, « s’il devenait le maître, mènerait la France à un tel état de dissolution qu’elle ne pourrait plus se réorganiser pour la liberté, et il ne resterait de ressource aux membres de cet État ruiné et complétement démoli que de se laisser empoigner sans retour par la main sacrilège d’un ambitieux despote. » Cet écrit fit beaucoup de sensation. Braver ainsi les hommes les plus déterminés du mouvement révolutionnaire, c’était s’exposer à de cruelles représailles ; il y avait courage à le faire. Mais le parti incriminé à qui l’irrésolution des girondins avait laissé prendre les avantages de l’offensive, n’en continua pas moins sa marche et se disposait, le 10 mars 1795, à une nouvelle conquête, c’est-à-dire à concentrer tous les pouvoirs dans l’assemblée en lui faisant choisir les ministres dans son sein. Tandis qu’on achevait la lecture d’un rapport, Danton se dirigea vers la tribune pour développer sa proposition, avec l’assurance d’un chef habitué aux triomphes. Larevellière le suivit et il s’établit entre eux, à demi-voix, au pied de la tribune, un curieux dialogue que Larevellière rapporte à peu près ainsi : « Que viens-tu faire ici ? lui dit Danton brusquement. Te jeter en bas de la tribune, répondit Larevellière. — Toi ! répliqua avec dédain le colossal tribun en toisant son chétif adversaire, je te ferais tourner sur le pouce!… — Nous allons voir, repartit Larevellière ; tu as pour toi l’audace d’un scélérat et j’ai pour moi la conscience d’un honnête homme. » Le rapport était fini, Danton développa sa proposition. Larevellière la combattit. énergiquement ; et, malgré les clameurs et les menaces des tribunes remplies d’une foule armée de piques, de sabres, de poignards, et tenant à la main des poignées d’étoupes qu’elle disait trempées dans l’eau-forte pour rincer la bouche des députés qui parleraient contre le peuple, la majorité prit une telle altitude, que Danton fut obligé de retirer son projet. Ce succès galvanisa un instant le parti girondin, et quelques jours plus tard celui à qui il était dû fut élu secrétaire. Le coup manqué du 10 mars ne fut qu’ajourné, et bientôt après eut lieu l’établissement du tribunal révolutionnaire contre lequel Larevellière fit entendre d’inutiles protestations. Il en fut de même à la journée du 31 mai, si fatale aux girondins. Quoiqu’il eût souvent marché d’accord avec eux, et qu’en particulier il eût appuyé la mise en accusation de Marat, il ne fut pourtant pas compris dans leur proscription. On connaissait trop ses