admettait que les caractères des êtres organisés changent sous l’influence des circonstances et particulièrement des habitudes que contractent ces êtres. Lamarck a exposé ces idées, à plusieurs reprises, de 1801 à 1806, dans ses cours et dans diverses publications, et il a consacré à leur développement, en 1809, la plus grande partie de son principal ouvrage, la Philosophie zoologique (voy. ci-après), après laquelle encore il est souvent revenu depuis sur ces mêmes idées : il les défendait encore en 1820 dans son dernier ouvrage. Nous exposerons sommairement, d’après Lamarck lui-même, cette doctrine si chère à son auteur, mais presque toujours défigurée par ses adversaires, dont la plupart ont condamné Lamarck sans aucune étude faite aux sources mêmes, et « d’après d’infidèles comptes rendus, qui ne sont aux vues de Lamarck que ce qu’une caricature est à un portrait ! » disait tout récemment M. lsidore Geoffroy Saint-Hilaire, dans le second volume de son Histoire naturelle générale. C’est à ce livre, tout récemment publié, que nous empruntons en partie le résumé suivant : « La supposition presque généralement admise, dit Lamarck, que les corps vivants constituent des espèces aussi anciennes que la nature même est tous les jours démentie. Il ne peut se produire de grands changements dans les circonstances sans qu’il en résulte aussi de grands changements dans les besoins des corps vivants, par suite dans leurs habitudes. C’est là, dit Lamarck, la principale « cause qui modifie leur organisation et leurs parties », car « l’habitude d’exercer un organe lui fait acquérir des développements et des dimensions qui le changent insensiblement, en sorte qu’avec le temps elle le rend fort différent. » Chaque forme acquise est conservée et se transmet successivement par la génération jusqu’à ce que de nouvelles modifications de ces organisations et de ces formes aient été obtenues par la même voie et par de nouvelles circonstances. « Les espèces, conclut Lamarck, ne sont donc que relatives et ne le sont que temporairement. » Buffon avait émis avant Lamarck, et, depuis lui, Geoffroy Saint-Hilaire et un grand nombre d’autres ont admis cette dernière proposition, mais non cette influence des changements d’habitudes que suppose Lamarck, mais que la nature ne nous montre nulle part et ne saurait même nous montrer ; car un changement d’habitudes ferait sortir l’animal des harmonies de son organisation avec les circonstances où il vit. Il y a ici entre Lamarck et ses illustres prédécesseurs et successeurs un dissentiment si profond, que plusieurs auteurs ont considéré Buffon et Geoffroy Saint-Hilaire comme plus voisins ici de Cuvier que de Lamarck. Mais au-dessus de l’explication de la variabilité, il y a la notion même de celle-ci, et tous les défenseurs de cette notion, les uns plus mesurés et Lamarck plus téméraire, et téméraire à l’aide d’une hypothèse toute gratuite, ne défendent pas moins au fond le même système général d’idées, celui de l’influence des circonstances sur les caractères des êtres, contre l’hypothèse d’un type spécifique absolu et immuable. Et si le premier est destiné à prévaloir dans la science, on ne devra pas oublier que Lamarck en a été le plus persévérant défenseur, et que s’il n’en a pas donné les preuves, il a donné l’impulsion d’où elles sont venues. La vieillesse de Lamarck n’a pas seulement été attristée par les vives et parfois acerbes critiques auxquelles il fut en butte ; presque dès son avènement à la zoologie, l’affaiblissement de sa vue l’avait obligé de recourir pour les insectes à l’assistance de Latreille ; bientôt il ne put plus distinguer les petits objets, et, dans les derniers temps, il devint complétement aveugle. Lamarck était d’ailleurs loin d’être favorisé du côté de la fortune. Sa vie retirée et sa persistance dans des systèmes peu d’accord avec les idées qui dominaient dans les sciences ne lui avaient pas concilié les dispensateurs de grâces. « Lorsque les infirmités sans nombre, amenées par la vieillesse, « eurent accru ses besoins, dit Cuvier, toute son « existence se trouva à peu près réduite au modique traitement de sa chaire. Les amis des sciences, attirés par la haute réputation que lui avaient valu ses ouvrages de botanique et de zoologie, voyaient ce délaissement avec surprise ; il leur semblait qu’un gouvernement protecteur des sciences aurait dû mettre un peu plus de soin à s’informer de la position d’un homme célèbre. Mais leur estime redoublait à la vue du courage avec lequel ce vieillard illustre supportait les atteintes de la fortune et celles de la nature. Ils admiraient surtout le dévouement qu’il avait su inspirer à ceux de ses enfants qui étaient demeurés près de lui. Sa fille aînée, entièrement consacrée aux devoirs de l’amour filial pendant des années entières, ne l’a pas quitté un instant, n’a pas cessé de se prêter à toutes les études qui pouvaient suppléer au défaut de sa vue, d’écrire sous sa dictée une partie de ses derniers ouvrages, de l’accompagner, de le soutenir tant qu’il a pu faire encore quelque exercice, et ces sacrifices sont allés au delà de tout ce qu’on pourrait exprimer. Depuis que le père ne quittait plus la chambre, la fille ne quittait plus la maison. À sa première sortie elle fut incommodée par l’air libre, dont elle avait perdu l’usage. S’il est rare de porter à ce point la vertu, il ne l’est pas moins de l’inspirer à ce degré, et c’est ajouter à l’éloge de Lamarck que de raconter ce qu’ont fait pour lui ses enfants. Lamarck est mort le 18 décembre 1829. Richard avait établi, sous le nom de marckes, changé par Persoon et Poiret en celui de lamarckia, un genre de plantes de la famille des solanées, qui comprend une jolie liane des forêts humides de la Guyane. Ce genre a fait supprimer celui de lamarckia, antérieurement créé par Mœnch et Kœler, pour une graminée à laquelle Persoon a donné