l’abandon du poste d’Orchies, que devait garder le général Ransonnet, il fallut se retirer sur Bouchain, puis sur le camp de César et l’Escaut, où Custine vint enfin prendre le commandement le 30 juillet 1795. Par une des bizarreries de cette époque, Lamarche, qui n’avait pas cessé de montrer sinon une grande capacité, du moins un zèle à toute épreuve, fut suspendu de ses fonctions et confiné dans l’intérieur, avec défense de s’approcher de l’armée à moins de vingt lieues, fort heureux de n’être pas, comme tant d’autres, envoyé à l’échafaud. Il se retira à Épinal, où il vécut d’une modique pension jusqu’à ce que le premier consul Bonaparte, à la sollicitation du général Ney, voulût bien le nommer, en 1800, commandant d’une brigade de vétérans ; mais Lamarche ne jouit pas longtemps de cet emploi, car il mourut peu de temps après.
LAMARCK (Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de), l’un des naturalistes dont la France s’honore le plus, naquit le 1er avril 1744, à Bazantin, village du département actuel de la Somme, entre Albert et Bapaume. Onzième enfant du seigneur de ce lieu, qui descendait lui-même d’une ancienne maison du Béarn, il n’eut
en perspective qu’un mince patrimoine qu’une si nombreuse liguée devait réduire à de bien modiques dividendes : aussi fut-il, suivant l’usage du
temps, destiné au sacerdoce. Pour l’y préparer, on l’envoya au collége des jésuites d’Amiens. Ce n’était pas à l’époque où la France se trouvait engagée avec le plus de violence dans la désastreuse lutte commencée en 1756 contre la Prusse et l’Angleterre, qu’un jeune homme, dont l’un des frères avait trouvé une mort honorable sur la brèche, au siége de Berg-op-Zoom, et dont deux autres frères servaient encore avec distinction, pouvait abjurer sans résistance les traditions de sa famille, vouée de tout temps à la carrière des armes : aussi fallut-il une ferme décision de la volonté paternelle pour le maintenir dans la ligne qu’on lui traçait ; mais, à la mort du vieillard,
nulle remontrance ne fut capable de le retenir au
séminaire. Âgé à peine de dix-sept ans, il s’empara
d’un mauvais cheval, se fit suivre par un
pauvre garçon de son village, et s’achemina vers
l’armée d’Allemagne, fondant toutes ses espérances
sur son courage et sur une lettre de recommandation
qu’une amie de sa famille lui avait
remise pour le colonel du régiment de Beaujolais.
On conçoit quel fut l’embarras de cet officier,
peu favorablement disposé d’ailleurs par la mine
chétive du jeune arrivant. Cependant il l’admit
comme volontaire. Le moment était critique : on
se trouvait au mois de juillet 1761. Le maréchal
de Broglie, général en chef de l’armée française,
qui venait de réunir ses troupes avec une partie
de celles du prince de Soubise, devait attaquer le
lendemain les alliés commandés par le prince
Ferdinand de Brunswick. Les Français, personne
ne l’ignore, perdirent cette bataille, livrée à Willinghausen, entre Ham et Lippstadt. Pendant l’affaire une compagnie de grenadiers, au premier
rang de laquelle le jeune Lamarck s'était placé dès le point du jour, reçut la garde d’un poste qui la tint exposée au feu de l’artillerie
ennemie, et où on l’oublia même dans la confusion
de la retraite. Tous les officiers et sous-officiers
avaient succombé, et il ne restait plus que
quatorze grenadiers, dont le plus ancien proposait
de suivre le mouvement rétrograde qu’il
voyait opérer aux autres troupes. Lamarck s’y
opposa avec énergie, et il fallut que le colonel
envoyât à ce faible détachement une ordonnance
qui eut beaucoup de peine à pénétrer jusque-là
pour lui transmettre l’ordre de se rallier. Ce
trait de fermeté ayant été rapporté au maréchal,
il fit sur-le-champ Lamarck officier, malgré les
ordres formels du ministre de la guerre, qui, voulant apporter quelques changements dans l’organisation de l’armée, avait défendu de nommer à
aucun emploi devenu vacant. Peu après le jeune homme obtint le grade de lieutenant, et il trouva dans la même campagne plusieurs autres occasions de se distinguer. Mais un accident imprévu l’empêcha de profiter d’un si heureux début. À la paix, son régiment ayant été envoyé à Monaco, un de ses camarades, en jouant, le souleva par la tête et détermina ainsi le développement d’une affection grave, qui mit Lamarck dans la nécessité de venir à Paris se confier à des mains habiles ; il
y réclama les soins de Ténon, qui le rétablit par
une opération dont il conserva toujours depuis de
profondes cicatrices. Le traitement de cette maladie
avait exigé une année entière, pendant laquelle
l’exiguïté de ses ressources le tint confiné
dans une solitude où il eut le loisir de se livrer à
la méditation. Déjà durant son séjour à Monaco
la végétation singulière de cette contrée rocailleuse
l’avait frappé, et il avait pris quelques
teintes de botanique dans le Traité des plantes usuelles de Chomel, tombé par hasard entre ses mains. D’un autre côté, à Paris, logé, comme il le disait lui-même, beaucoup plus haut qu’il n’aurait voulu, et n’ayant pour perspective que les nuages, il prit plaisir à les considérer, à en remarquer les différents aspects, les diverses configurations, et il acquit ainsi quelques idées vagues de météorologie. C’en fut assez pour lui faire comprendre que la carrière des armes n’était pas la seule dans laquelle on pouvait se distinguer,
et il prit le parti d’embrasser celle de la médecine,
résolution non moins courageuse que la première ; car son modique revenu de quatre cents livres l’obligeait, dans les intervalles de ses études,
à travailler pour vivre dans les bureaux d’un banquier ;
et lui, qui devait un jour se placer si haut,
non pas dans les faveurs de la fortune, mais dans
les illustrations de la science, débuta presque aussi
rudement que Linné, qui avait dû aussi se préparer
à son rôle de réformateur de l’histoire naturelle en
raccommodant, pour les approprier à son usage,