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— Personne, je l’ai appris tout seul. » Là-dessus l’examinateur de se récrier, et Klaproth de courir à ses cahiers, où il montre à l’examinateur émerveillé des copies de texte, des essais de traduction, des extraits faits sur les originaux mêmes. Il répond ensuite à toutes les questions, résout toutes les difficultés, révèle en peu de mots le facile mystère du langage chinois, l’explique avec clarté, le commente avec précision. Ses maîtres furent convaincus alors qu’il n’avait pas perdu son temps, et son père, bien que très-chagrin de renoncer aux projets qu’il avait formés pour lui, eut du moins la consolation de penser que ce fils pourrait s’ouvrir une carrière honorable. Cependant il exigea que Jules-Henri apprît ce qu’il aurait dû savoir et se livrât aux études philologiques proprement dites, alors presque exclusivement en honneur en Allemagne. Afin de mieux assurer le succès de cette résolution, il l’éloigna de Berlin, où la tentation de cultiver la langue chinoise aurait pu l’entraîner. Ce fut à l’université de Halle qu’il l’envoya en 1801. Le jeune Klaproth y eut fait en peu de mois des progrès qui étonnèrent ses maîtres, et comme il ne trouvait dans cette ville ni manuscrits ni professeurs capables de lui aplanir la voie, il alla poursuivre à Dresde, dans l’été de 1802, les travaux qu’on l’avait forcé d’interrompre à Berlin. À la fin de cette même année, il publiait en allemand, à Weimar, les premiers cahiers de son Magasin asiatique. Ce recueil périodique attira les regards de l’Allemagne savante, et de ce moment date la renommée de Klaproth. On était surpris qu’un jeune homme de dix-neuf ans déployât des connaissances si profondes sur des sujets à peu près ignorés des hommes les plus doctes. Alors son père reconnut l’erreur de ses préventions, et dans le même temps le comte Jean Potoçki, avec lequel le jeune Klaproth avait eu l’occasion de converser à Berlin, frappé de la pénétration et du discernement qu’il montrait en parlant de la Chine et de tout ce qui la concerne, s’empressa, de retour à St-Pétersbourg, de recommander au ministère russe un homme que ses notions sur l’empire chinois devaient rendre très-intéressant pour la Russie, liée depuis 1089 avec ce vaste État de l’Asie, par des traités qui n’ont pas été enfreints. Klaproth fut appelé à Saint-Petersbourg en 1801, et l’académie des sciences se l’associa en qualité d’adjoint pour les langues et la littérature asíatiques. Cette distinction n’était pas purement honorifique, et le désir qu’il avait de s’en montrer digne, non moins que les obligations qu’elle lui imposait, le déterminèrent à abandonner sa patrie et les travaux qu’il y avait commencés. Des l’année suivante, une ambassade extraordinaire, destinée pour Péking, vint lui offrir un moyen d’étendre ses recherches. On n’était pas encore fixé sur le choix d’un ambassadeur que Klaproth était déjà désigné pour l’accompagner comme interprète. Le comte Potoçki fut placé à la tête des savants, et Golovkin chargé de la politique. Klaproth n’attendit pas que celui-ci eût achevé ses préparatifs ; il partit au printemps de 1805, visita Calau et Perm, traversa les monta Ourals, atteignít Ekaterinbourg en Asie, côtoya l’Irtich depuis Tobolsk jusqu’à Omsk, d’où il gagna Tomsk, Krasnoyarsk et enfin Irkoutsk, qui était le point de réunion de l’ambassade. Il préféra cette route, quoique ce ne fût pas la plus directe, afin d’éviter des passages difficiles dans les montagnes, et parce qu’elle présentait plus de parties intéressantes à visiter. Elle le conduisit d’abord chez les Samoyèdes et chez plusieurs de ces nombreuses peuplades finnoises et tartares qui habitent le long de l’Ob, du Ienisseï et du lac Baïkal. Dans la Sibérie méridionale, il rencontra des tribus de race turque, mongole et autres ; il vécut parmi les Bachkirs, les Dzoungars, les Téléoutes ; parmi les Tongouses de Tobolsk et d’lrkoutsk ; il étudia leurs mœurs, recueillit des vocabulaires de tous leurs dialectes, s’appliqua à distinguer leur physionomie nationale pour parvenir à démêler les traits caractéristiques des familles dont la race s’était croisée avec d’autres. À la fin de l’été de 1805, toute l’ambassade fut réunie à lrkoutsk : le 17 octobre elle arriva au fort de Kiakhta, sur les conflns de l’empire, oû des difficultés, suscitées par les autorités chinoises, la retinrent jusqu’à la fin de l’année. Ce séjour forcé fut très-utile à Klaproth, qui en profita pour apprendre le mongol, se perfectionner dans le mandchou, recueillir des matériaux et se procurer une collection considérable de livres chinois, tibétains, mandchous et mongols. Enfin, le 1er janvier 1806, on put franchir la frontière et entrer en Mongolie. Le froid était devenu excessif ; plusieurs fois le mercure gels dans les baromètres ; les voyageurs en souffrant d’autant plus qu’ils ne parcoururent qu’en quatorze jours la distance de soixante-quatorze lieues, qui sépare Kiakhta de l’Ourga ou Kouren, ville ou plutôt camp où réside le gouverneur général, et que dans tout ce trajet ils n’eurent d’autre abri que des tentes de feutre. Là se renouvelèrent les discussions sur le cérémonial chinois : l’ambassadeur russe refusait de s’y soumettre, alléguant l’exemple de lord Macartney, qui n’avait fait d’autre salut à l’empereur Khian-Loung que celui qui en Europe est usité en pareil cas (voy. Macartney). Des courriers furent expédiés à Péking, et l’on espérait une réponse favorable du tribunal des rites ou de l’empereur même, quand survint une altercation sur une misérable question d’étiquette. Alors les négociations prirent une tournure fâcheuse, les esprits s’aigrirent, et, le 10 février, l’ambassade fut congédiée avec dédain par une lettre venue de Péking. Elle revit Klakhta dans les premiers jours de mars. L’académie de St-Pétersbourg envoya aussitôt de nouvelles instructions à ses délégués. Klaproth, qui, dans les conférences entre Golovkin et les mandarins,