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tème lui était encore inconnu, ne stimula que trop ces dispositions perturbatrices. Lafayette ne prit aucune part ostensible aux débats qui la précédèrent : les meneurs de l’opposition étaient trop habiles pour ne pas comprendre à quel point l’influence de son nom et de ses doctrines eût compromis le succès d’une lutte aussi décisive. La situation, cependant, était loin d’être désespérée. Avec un peu plus d’expérience des procédés et des ressources du gouvernement parlementaire, il eût été facile de rompre la majorité hétérogène qui avait voté ce manifeste, et de détourner la crise qui se préparait. Mais le parti le plus logique et le plus sage était de dissoudre à la fois la chambre et le ministère, et d’en appeler aux électeurs sous l’influence d’une administration moins antipathique au pays. Ce parti ne prévalut point. Un sentiment exagéré de la prérogative monarchique, certaine impatience, et, disons-le, certaine dignité propre au caractère de Charles X, l’emportèrent, et l’imprévoyant monarque se plut à resserrer, par un renvoi pur et simple de la chambre des 221, l’étroite impasse dans laquelle le pouvoir royal se trouvait engagé. Les élections, faites sous l’influence de l’irritation populaire, ramenèrent une opposition plus nombreuse et plus animée. De cette situation violente sortirent les ordonnances du 25 juillet, moyen fatal et désespéré de dégager la royauté imprudemment acculée dans ses derniers retranchements, mais qui prit facilement la couleur d’un odieux parjure aux yeux d’une population hostile et prévenue. La première impression qu’elles excitèrent fut la stupeur ; l’absence de forces militaires respectables encouragea la résistance ; une suite de dispositions mal conçues, mollement exécutées, firent bientôt prendre à l’émeute le caractère d’une vaste insurrection. Lafayette, absent lors de la promulgation des ordonnances, se mit en route dans la soirée du 26, et arriva à Paris au milieu de la nuit, sans que le gouvernement. dans son incurie ou dans son respect mal entendu pour la liberté individuelle, eût songé à contrarier cette dangereuse assistance. Le général parut le lendemain à la réunion des députés assemblés chez M. Audry de Puyraveau et à celles qui la suivirent ; mais, soit que le progrès de l’âge eût affaibli son goût pour les résolutions extrêmes, ou que son ardeur personnelle fût attiédie par la mollesse de son entourage, soit enfin qu’il n’eût aucune confiance dans le succès du mouvement populaire, son attitude répondit mal à l’attente des meneurs qui commençaient à le diriger. Il ne cessa d’exhorter au calme et à l’inaction la jeunesse turbulente qui vint à plusieurs reprises solliciter sa coopération[1]. Lorsque l’assemblée eut décidé l’envoi d’une députation au duc de Raguse, dans le but de suspendre les hostilités, Lafayette insista pour qu’elle tint au maréchal un langage sévère, et qu’on mit sous sa responsabilité tout le sang qui serait répandu. Il fut compris dans l’ordre d’arrestation tardivement décerné par le ministère contre les chefs présumés de la rébellion ; mais la rapidité de ses progrès n’en permit pas l’exécution. À la réunion du 28 au soir, lorsqu’elle eut pris tout son développement, le général, frappé du nombre croissant des victimes, s’écria avec la plupart de ses collègues, qu’il fallait diriger les efforts du peuple, adopter son étendard, et se déclara prêt à occuper le poste qu’on voudrait lui assigner. Fidèle à ses habitudes d’insurrection, Lafayette passa une partie de la nuit à stimuler et à diriger l’activité populaire ; il visita plusieurs des barricades qui s’élevaient sur les différents points de la capitale, et sa présence fut saluée de vives acclamations. L’abandon inopiné du Louvre procura, dans la matinée du 29, la victoire au peuple. Les députés se réunirent en grand nombre chez Laffitte, et Lafayette, porté par un vote unanime à la tête de la garde nationale, se mit aussitôt en marche, suivi d'un nombreux cortége, pour aller recevoir de nouveau, à l’hôtel de ville, après trente-neuf ans d’interruption, ce commandement auquel se rattachaient tous ses souvenirs et ses affections. Une foule immense et enthousiaste remplissait les rues. La commission municipale provisoire, dont le général avait refusé de faire partie, lui déféra le commandement de toutes les gardes nationales du royaume, et dès lors il se trouva investi de la plus haute influence peut-être que jamais citoyen alt exercée en aucun pays. Ce fut dans ces circonstances que, le 29 au soir, deux pairs, MM. de Sémonville et d’Argout, se présentèrent, au nom du roi Charles X, à la commission municipale, et firent part à ses membres réunis de la révocation des ordonnances du 25 et de l’appel d’un nouveau ministère sous la présidence du duc de Mortemart. Lafayette, mandé dans le sein de la commission, écouta sans rien objecter la communication du grand référendaire, et se borna à lui demander si la conquête du drapeau tricolore ne serait pas du moins le prix de la victoire du peuple parisien. M. de Sémonville répondit évasivement, et l’on se sépara. L’attitude mesurée de Lafayette en cette occasion eut-elle sa source dans une arrière-pensée favorable au maintien de la dynastie de Charles X ? dérivait-elle de l’incertitude des circonstances, ou faut-il l’attribuer à un désir systématique de consulter la nation sur la forme de gouvernement qui lui paraîtrait préférable ? La première de ces conjectures est la seule qui nous semble devoir être écartée sans hésitation. L’indécision prolongée de la cour, les déplorables lenteurs de M. de Mortemart rendirent une entière sécurité aux ennemis des Stuarts français. Dans la matinée du 30, Lafayette, quittant une attitude d’observation

  1. Hist. du règne de Louis-Philippe, par M. de Nouvion, t.1, p. 185.- L. Blanc, Hist de dix ans, t.1, p.255.