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Charles X, cédant aux exigences de la France électorale, composa son, conseil d’hommes estimables sans doute, éclairés, mais dépourvus de direction fixe, et dont l’action se trouva resserrée entre les répugnances plus ou moins avouées de la cour et l’opposition de la gauche, plus formidable que jamais. Un cabinet placé dans de telles conditions ne pouvait qu’affaiblir l’autorité royale, déjà si énervée. Ce fut le sort des concessions essayées par le ministère Martignac. Les intentions les plus conciliantes et les plus libérales ne purent lui faire trouver grâce devant les organes du parti démocratique. Dans un discours prononcé le 23 juin, sur le budget de 1828, Lafayette reprocha au gouvernement ses tendances rétrograde et battit impitoyablement en brèche les abus qu’il avait signalés à diverses reprises, comme si, depuis son récent avènement, le ministère eût eu le temps de les faire disparaître. L’année suivante, dans un discours sur les crédits supplémentaires, il dénonça la sainte-alliance « comme une vaste et puissante ligue dont le but était d'asservir et d'abrutir le genre humain, » et releva par une amère allusion les expressions inconsidérées par lesquelles Louis XVIII, en 1814, avait remercié le prince régent de son concours. Cependant, il est exact de dire que Lafayette se montra généralement plus indulgent pour le cabinet de 1828 que pour ceux qui l’avaient précédé. Charles X, dont il connaissait la loyauté, lui inspirait une estime personnelle, et ce prince, en passant à Meaux, lors de son voyage en quelque sorte triomphal dans l’est de la France, s’était exprimé à son tour dans les termes les plus obligeants sur le compte du général. Mais ces déférences particulières, dominées par d’incurables dissentiments politiques, ne pouvaient amener aucun résultat. Le fatal retrait des lois départementale et communale fit évanouir la dernière espérance de conciliation, et le ministère Martignac, brouillé sans retour avec la gauche, abandonné du côté droit et de la cour, plein du pressentiment de formidables orages, mais impuissant à les conjurer, emporta dans sa retraite, en retour des embarras qu’il léguait à la couronne, le stérile avantage d’avoir été le cabinet le moins impopulaire de la restauration. Ce fut, comme il arrive souvent, par une mesure extrême que Charles X espéra franchir les difficultés de sa situation. Pénétré et presque triomphant de l’inutilité des concessions qu’on lui avait en quelque sorte arrachées, il appela à la tête du nouveau conseil un patricien justement recommandable par la pureté de son caractère et par la fidélité éprouvée de ses sentiments monarchiques, mais dont le nom était frappé de cette longue et irrémédiable impopularité qui rend tout difficile à l’homme d’État. Le parti libéral regarda comme un éclatant défi ce qui n’était au fond qu’un acte mal entendu de résistance, et fit ouïr d’amères imprécations. -Lafayette, absent de Paris depuis la fin de la session, était allé passer quelques jours, après quatorze ans de séparation, à Chavaniac, lieu de sa naissance. Ce fut à son passage au Puy qu’il apprit l’avènement du ministère Polignac. Un banquet lui fut aussitôt offert par les chefs de l’opposition libérale. Là retentirent, sous la forme d’énergiques toasts, les premières protestations populaires contre les nouveaux conseillers de Charles X. Le voyage du général prit dès lors un caractère exclusivement politique ; le choix des villes qu’il affecta de traverser et les démonstrations extraordinaires dont il y fut l’objet révélèrent le but réel de cette tournée, évidemment destinée à imposer au gouvernement par une parade menaçante des forces populaires. Lafayette visita successivement Grenoble, Vizille, ce berceau de la révolution de 1789, Voiron, Latour-du-Pin, Bourgoin, Vienne, et le 5 septembre il se mit en route pour Lyon, où le délire révolutionnaire avait préparé une réception presque royale au patriarche de la démocratie française. Cinq Cents cavaliers, plus de mille piétons et un grand nombre de voitures allèrent à sa rencontre jusqu’aux limites du département [1]. M. Prunelle harangua le général, qui, dans sa réponse fière et presque menaçante, se félicita « d’avoir reconnu partout sur son passage cette fermeté calme et presque dédaigneuse d’un grand peuple qui connaissait ses droits, qui sentait sa force et serait fidèle à ses devoirs. » Lafayette fit son entrée à Lyon en présence d’un concours innombrable de spectateurs et y reçut des députations des villes de Chalon et de St-Étienne. Il assista le lendemain à une fête brillante sur l’île Barbe, et le jour suivant à un banquet que lui offrit la ville de Lyon, et où la sauté du roi fut portée pour la première fois depuis le commencement de cette tournée patriotique. À son départ, le 8 septembre, il fut accompagné jusqu’à deux lieues de la ville par une escorte de jeunes cavaliers. Ces audacieuses ovations, dont le gouvernement fut plusieurs fois, dit-on, sur le point de troubler le cours par une résolution hardie, propagèrent l’esprit de défiance et de sédition sur tous les points de la France. De toutes parts, on se prépara à la résistance contre les prétendues tentatives liberticides du ministère ; des associations se formèrent pour le refus de l’impôt, et de nouvelles sociétés secrètes, organisées à la manière des carbonari de 1822, s'établirent au sein de la capitale [2]. Lafayette les encouragea hautement, exprima même l’avis que les chambres devaient refuser le budget jusqu’à ce que la France eut reçu une organisation démocratique, et se mit en rapport direct avec la plus séditieuse de ces associations, qui avait pour organe la Tribune. La trop fameuse adresse des 221, par laquelle la chambre déniait son concours à un ministère dont le sys-

  1. Voyage du général Lafayette en 1829, par M. Sorin
  2. La Révolution de 1830 et le véritable parti républicain, par A. Fabre