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« Cromwell! - Cromwell, répondit froidement « Lafayette, ne serait pas entré seul ici. » Son entretien avec le roi dura une demi-heure. Ses protestations de fidélité furent accueillies, dit-on, avec peu de faveur. Cependant, au sortir de cette conférence, il dit à plusieurs personnes qu’il avait décidé le monarque à de salutaires concessions, au nombre desquelles était le rappel des gardes-françaises, licenciés pour leur récente défection. Tout paraissant calme dans l’intérieur et autour du château, Lafayette, après avoir pris quelques dernières dispositions, se retira, vers quatre à cinq heures du matin, à l’hôtel de Noailles, pour y jouir de quelque repos. Une demi-heure à peine s’était écoulée, lorsque des cris affreux l'arrachèrent à cette funeste sécurité. Une troupe d’assassins avait pénétré dans l’intérieur du château par une grille dont la surveillance ne lui était point confiée. Dirigés par des guides travestis, ils étaient parvenus jusqu’an grand escalier de marbre qui conduisait aux appartements de la reine. Deux gardes du corps en faction sont assaillis et percés de coups ; douze autres soutiennent contre cette bande de brigands une lutte inégale et meurtrière, pendant laquelle, avertie à temps, la reine se sauve à demi vêtue dans l’appartement du roi. Mais les assassins se renforcent, ils inondent le château, et la vie des fidèles gardes du corps est sérieusement menacée, lorsque Lafayette accourt, à la tête de quelques grenadiers de la garde nationale, dont les efforts, réunis à ceux des gardes, parviennent à mettre les agresseurs en fuite. Mais ce succès n’a point dissipé l’insurrection. La populace, rassemblée sous les fenêtres du roi, demande à grands cris que la reine paraisse, et somme impérieusement le monarque de se rendre à Paris. Après avoir vainement essayé de calmer ces vociférations menaçantes, Lafayette s’adresse à Marie-Antoinette et lui demande quelles sont ses intentions : « Je sais le sort qui m’attend, répond l'héroïque princesse, mais mon devoir est de mourir aux pieds du roi et dans les bras de mes enfants. » Lafayette la conjure de se présenter avec lui sur le balcon. Elle y consent ; le général, ne pouvant dominer les cris de la multitude, baise sa main, comme pour annoncer au peuple que la réconciliation est complète, et le nom de Marie-Antoinette est porté aux nues par cette même populace qui tout à l’heure la menaçait du plus horrible trépas. Touchée du dévouement de Lafayette, madame Adélaïde, tante du roi, l'embrasse avec effusion, madame Elisabeth le proclame le libérateur de la famille royale, et plusieurs gardes du corps, qui lui doivent la vie, le comblent de marques de reconnaissance. Ces témoignages d’un entraînement passager seraient insuffisants sans doute pour absoudre Lafayette des reproches qui lui ont été adressés au sujet de cet affreux épisode de la révolution française ; mais un examen impartial de son attitude et de ses actions, dans les journées des 5 et 6 octobre, conduit à une solution analogue, et c’est un devoir pour l’historien consciencieux d’exprimer hautement son opinion à cet égard, même sans espérance de la faire partager. Il faut remarquer, avant tout, que la marche de Lafayette sur Versailles avait été le résultat d’un ordre précis de la commune de Paris. Placé par cet ordre dans une position mixte et presque équivoque entre la royauté, dont il semble menacer l'indépendance, et les factieux, dont il est chargé de contenir les écarts, l’attitude de Lafayette ne présente rien que de naturel, de conforme à ses devoirs. On lui a souvent reproché son prétendu sommeil dans la nuit du 5 au 6 octobre, et la malignité française, qui s’est plus d’une fois chargée de qualifier d’une manière piquante les exagérations de parti, l’a stigmatisé a cette occasion du sobriquet de général Morphée ; mais cette plaisanterie ne saurait prévaloir contre les précautions multipliées dont Lafayette fit précéder ce court tribut à la nature, et sa sécurité fut partagée par des personnages bien plus directement intéressés que lui au succès de ces dispositions. Une considération domine d’ailleurs tout cet examen : c’est que les événements des 5 et 6 octobre furent, selon les probabilités les plus graves, le produit des manœuvres de la faction d’Orléans, qui espérait déterminer ainsi la fuite de la famille royale. Or, tout le monde sait combien Lafayette était opposé à cette faction, dont il avait toujours repoussé les avances avec dédain [1]; et, quel que fût son désir personnel de ramener et de fixer désormais le roi à Paris, nul homme impartial n’admettra qu’il ait voulu favoriser, par une inaction perfide, les attentats les plus odieux et les plus funestes à la cause constitutionnelle, qu’il avait si chaudement embrassée. — Quoi qu’il en soit, Louis XVI, après une délibération tumultueuse, se décida à se rendre au sein de sa capitale. Lafayette annonça cette résolution au peuple assemblé ; le cortège insurrectionnel se mit en marche, précédé, comme on sait, des sanglants trophées de la journée, et suivi de la famille royale, qu’accompagnaient les gardes du corps, démontés, désarmés, humiliés. Après une courte pause à l’hôtel de ville, le roi vint s’installer aux Tuileries, où rien n’était préparé pour le recevoir. Étonné lui-même de ce délabrement, Lafayette dit à la reine qu’il allait s’occuper d’y pourvoir. — « Je ne savais pas, « répondit-elle dédaigneusement, que le roi vous eût nommé l’intendant de sa garde-robe. » Une procédure instruite par le Châtelet contre les fauteurs de l’insurrection, inculpa assez gravement le duc d’Orléans, pour que Lafayette, dans une rencontre qu’il eut avec ce prince chez le ministre Montmorin, crût devoir l’exhorter impérieusement à quitter le territoire français. Le duc partit pour Londres, et ne revint plus en

  1. [Mémoires de Lafayette.]