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rale. » Elle a attaché son nom à un établissement qui doit rendre sa mémoire à jamais recommandable, au collége de Navarre, fameux par le grand nombre déleves distingués qui en sont sortis. Elle récompensa les savants avec magnificence, et dota richement plusieurs couvents à une époque où ils étaient les seuls asiles des sciences et des lettres. On trouve un Éloge trop court de la reine Jeanne dans le recueil de Ravisius Textor, intitulé De claris mulieribus, Paris, Colines, 1521, in-fol.

JEANNE Ire, reine de Naples de 1545 à 1581, était fille de Charles, duc de Calabre, et petite-fille de Robert, roi de Naples, estimé le monarque le plus sage de son siècle. Robert survécut à son fils, et, voulant assurer à sa petite-fille la succession an trône, il lui fit épouser, le 26 septembre 1555, son cousin André, fils de Charobert ou Charles Robert, roi de Hongrie, qui, d’après le droit de représentation, avait un titre plus légitime à la couronne de Naples que lui-même. Au moment de ce mariage, Jeanne et André étaient tous deux âgés de sept à huit ans. Mais autant Jeanne avait de grâce, de gaieté, d’élégance dans les manières et de sensibilité, autant André se montrait dur, sauvage, orgueilleux et brutal ; ces deux enfants, appelés à s’aimer par le double lien d’une étroite parenté et du mariage, grandirent en se détestant. Jeanne succéda, le 19 janvier 1343, à son aïeul. André, à la même époque, était orphelin, son père Charobert étant mort à Visgrade le 14 juillet 1542. Tous deux prétendaient régner à Naples par leur propre droit : la Catanaise, favorite de Jeanne (voy. Camus), et le frère Robert, Hongrois, favori d’André, excitaient l’aversion et la jalousie de leurs élèves pour dominer mieux sur eux. Jeanne, dont le cœur était faible, et qui tenait de son père une disposition à la galanterie dont Charles de Calabre était mort victime, avait pour amant son cousin Louis de Tarente. Ce prince par ambition, les courtisans par crainte des vengeances d’André, sollicitèrent la reine de permettre qu’on la défit d’un tyran aussi à charge aux peuples qu’à elle-même. Les conjurés, ayant fait éveiller André, le 18 septembre 1545, l’étranglèrent à une fenêtre, à côté de la chambre de la reine, dans le couvent d’Averse, où la cour était alors logée. Quoique Jeanne eût, selon toute apparence, donné son consentement à ce meurtre, elle avait bien mal pris ses mesures pour profiter de la liberté qu’il lui rendait. Le peuple et les grands voulaient venger André, Naples était soulevée, et Jeanne, craignant pour elle-même et pour son amant, abandonna ses autres complices à des tribunaux qui ne dépendaient point d’elle. La Catanaise périt à la torture ; quelques-uns furent livrés à d’affreux supplices, et ce fut par des précautions aussi honteuses que le crime que Jeanne évita d’être accusée, sur l’échafaud même, par ceux qui mouraient pour elle. Lorsque la fermentation excitée par cette conjuration et ces supplices se fut enfin calmée, Jeanne épousa son cousin Louis de Tarente, le 20 août 1517, et par là elle ne laissa plus de doute sur sa complicité. Mais le frère ainé d’André, Louis, régnait alors avec gloire en Hongrie ; il s’était fait un devoir de venger son frère : il rassemble sa brave noblesse sous un étendard noir où l’on voyait peint le meurtre d’André, et il partit de Bude le 5 novembre 1517 pour envahir le royaume de Naples. À l’approche des Hongrois, l’armée napolitaine, commandée par Louis de Tarente, se dissipa. Jeanne, délaissée par ses courtisans, s’embarqua le 15 janvier 1518 pour la Provence ; son mari Louis et son grand sénéchal Nicolas des Acciaiuoli la suivirent de près. Mais la Provence, où cette reine malheureuse cherchait un refuge, n’était pas plus tranquille que son royaume : ses barons révoltés l’y retinrent quelque temps prisonnière, et elle ne sortit de cette captivité que par la protection du pape Clément VI. Elle l’avait obtenue en lui vendant (le 19 juin 1518) la souveraineté d’Avignon pour le prix modique de trente mille florins[1]. Pendant ce temps, Louis de Hongrie avait achevé la conquête du royaume de Naples, et il y exerçait sa vengeance avec une excessive cruauté. Cependant la peste, qui à cette époque même désola l’Italie, le fit tout à coup renoncer à sa conquête, et il partit pour la Hongrie sur un petit bâtiment ; il y avait déjà envoyé les princes du sang d’Anjou et un fils de Jeanne et d’André, qui était né trois mois après la mort de son père et qui mourut peu de temps après. Jeanne fut alors rappelée à Naples par ses sujets : elle y revint avec Louis de Tarente, son mari, à la fin d’août 1348, et ce dernier, rassemblant comme il put une armée d’aventuriers, entreprit de reconquérir son royaume, dévasté par les bandes d’Allemands et de Hongrois que Louis y avait introduites. Louis de Hongrie rentra dans le royaume de Naples en 1550, avec dix mille hommes de cavalerie. Il y eut d’abord de grands succès ; mais les Hongrois, encore ignorants dans l’art des sièges, s’épuisèrent à celui d’Averse ; bientôt après ils demandèrent leur congé, et Louis, impatient lui-même de revoir son royaume, accorda, au mois d’octobre, une trêve à la reine Jeanne, pendant laquelle son procès devait être instruit à Avignon. La reine avoua devant les juges qui lui furent donnés par le pape qu’elle avait manifesté une aversion invincible contre son mari, et que cette haine avait encouragé les conspirateurs à se défaire de lui ; mais elle attribua son aversion à un maléfice qui lui avait été jeté. La cour pontificale déclara Jeanne innocente, et Louis de Hongrie, se soumettant à cette sentence, retira ses troupes du royaume et refusa les dédommagements pécuniaires qui lui étaient offerts. Jeanne

  1. On a prétendu mal à propos que la reine Jeanne n’était pas mineure quand elle fit cette vente : elle avait déjà quinze un de mariage. (Voyez une Lettre insérée dans le Mercure de France du 20 octobre 1791.)