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de ses pouvoirs intellectuels, et l’exercice des fonctions de la raison pratique, l’acte par lequel cette raison révèle à l’homme l’existence de la loi morale absolue doit être envisagé comme une promulgation de cette loi faite par l’auteur de notre organisation physique lui-même, et comme une. manifestation de sa volonté divine. Quant à l’autre loi fondamentale de notre être actif, celle qui nous porte à chercher le bonheur, Kant nous fait observer que la voix secrète de la conscience n’annonce comme digne du bonheur que l’être vertueux, et il nomme souverain bien l’état de félicité où la vertu et le bonheur sont réunis dans le même sujet. Mais comme, dans l’ordre des choses auquel nous appartenons maintenant, ces deux, lois fondamentales de l’être sensible et de l’être moral sont perpétuellement en opposition et qu’il n’arrive que trop souvent que la vertu et le bonheur ne se trouvent pas unis dans une proportion juste, Kant en conclut la nécessité absolue d’une autre vie, où ces lois seront également satisfaites, et, comme corollaire immédiat, la nécessité de l’existence d’un arbitre doué de la toute-science et de la toute-puissance, qui assignera à chacun la portion de bonheur, dont il se sera rendu digne. Pour compléter la notice des considérations les plus importantes qui établissent l’union indissoluble des principes moraux et religieux dans la doctrine du criticisme, il faut rapporter ici ce qui en résulte en faveur de l’espérance d’une durée sans fin de l’être moral ; fondée sur la tâche de perfectionnement progressif que sa raison pratique lui impose irrémissiblement, et qu’il n’achèvera jamais, quels que soient ses efforts et sa carrière. C’est par ces vues que Kant met le for de la conscience à l’abri des attaques du sophisme, et qu’il, fait résulter immédiatement de notre nature la certitude de l’immortalité de l’âme, et de l’existence de Dieu, en fondant cette certitude, non sur la science et sur la démonstration par raisonnement, mais sur la nécessité de l’accomplissement de la loi morale. Le développement des principes sur lesquels repose la Critique de la raison pratique et leur application à diverses branches de la morale, sont l’objet de deux autres ouvrages de Kant, intitulés Bases d’une métaphysique des mœurs, 1784, et Principes métaphysiques de la doctrine ou théorie de la vertu, 1797. Les principes de la morale kantienne ont été à la fois exposée avec beaucoup de clarté, et combattus avec autant de candeur que d’impartialité, par C. Garve, dans sa Revue des principauté systèmes de morale, Breslau, 1798 (p. 183-394). Cette critique, écrite dans le dernier période de la maladie douloureuse qui termina la vie d’un des moralistes les plus distingués des temps modernes (voy. GARVE), est dédiée à Kant lui-même (1)[1].

(1) Kant a répondu aux critiques de Garve dans la 2e édition de ses Principes métaphysiques du droit, et dans l’opuscule : Sur le dicton : Cela peut être juste en théorie, mais c’est sans utilité pratique, 1793. J. T – T.


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4e Critique du jugement (Libau, 1790, 1 vol, in-8o). C’est en vertu de la faculté judiciaire que nous jugeons de tous les genres de convenances et de proportions, par conséquent de tout accord des moyens avec le but ; des causes finales ; de la concordance des lois et des choses dans l’ensemble de la création ; de la conformité des actions avec les règles du bon et du juste ; du degré de plaisir ou de peine qui accompagne nos sensations et nos sentiments, et qui n’est autre chose que le degré de leur harmonie ou de leur discordance avec le jeu de nos organes, avec le développement de notre énergie vitale, avec les fonctions de tous nos pouvoirs favorisés ou troublés dans leur exercice par ces sentiments et par ces sensations. Enfin le beau et le sublime, dans la nature et dans les arts, sont encore, dans le système critique, du ressort de la faculté judiciaire, faculté à la fois spéculative et pratique qui tient des deux pouvoirs par lesquels Kant a commencé son travail analytique, et en est comme le lien et le supplément. Ses lois et ses formes virtuelles sont exposées dans la Critique du jugement. L’introduction à ce livre offre mieux qu’aucun autre des écrits de Kant l’ensemble de ses vues philosophiques, et cette liaison entre les diverses parties de son système qu’on l’a souvent accusé de n’avoir établie nulle part. Il est une partie de la Critique du jugement qui, malgré la nouveauté des aperçus, a obtenu les suffrages des adversaires les plus décidés des doctrines kantiennes : c’est celle qui renferme la théorie du goût, et l’analyse des sentiments que les arts se proposent de réveiller. Pour que celui du beau soit excité par un objet, son action sur la sensibilité doit, selon Kant, mettre en jeu l’imagination, de telle sorte qu’il en résulte, dans ce cas particulier, un accord spontané de l’exercice de cette faculté avec une règle de l’entendement, sans que cette dernière faculté ait besoin de contraindre l’imagination à se conformer à la règle, comme il arrive dans tous les cas où l’imagination concourt à la formation d’une conception, et se trouve, pour remplir ce but, assujettie au contrôle de l’entendement. La découverte inopinée de cet accord qui nous offre l’image d’une harmonie primitivement établie entre ces deux pouvoirs, est, d’après cette théorie, la source du plaisir que nous fait éprouver le beau, et se trouve liée au sentiment d’un degré plus élevé de la vie, puisque tout exercice aisé et concordant de plusieurs facultés accroît la confiance que nous aimons à placer dans la sagesse et dans la stabilité de notre organisation. Les éléments dont Kant compose le sentiment du sublime sont d’une nature plus élevée. Il en a trouve la source dans le concours de l’imagination et de là raison, s’exerçant, tour à tour et avec un succès inégal sur un objet de grandeur illimitée. L’imagination s’efforçant d’abord vainement d’en embrasser l’étendue, et obligée de renoncer à son entreprise avec le sentiment pénible de son impuissance,

  1. (1) Kant a répondu aux critiques de Garve dans la 2e édition de ses Principes métaphysiques du droit, et dans l’opuscule : Sur le dicton : Cela peut être juste en théorie, mais c’est sans utilité pratique, 1793. J. T – T.