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de ses pouvoirs ; que la raison spéculative, malgré le rang élevé qu’elle tient parmi les facultés intellectuelles, n’est investie, à l’égard de la sphère de son exercice, d’aucune prérogative particulière ; qu’en conséquence les plus sublimes comme les plus anciens objets des investigations et des doutes philosophiques, Dieu, la liberté, l’immortalité, sont à la fois hors de ses attributions et de ses atteintes. Après avoir mis ainsi ces grands et seuls vrais intérêts de l’homme à l’abri des attaques du raisonnement, Kant les transporta sur un autre terrain, selon lui inaccessible aux objections spéculatives, et offrant aux vérités de la religion des bases immuables. Quand il eut achevé ses travaux relatifs à.la métaphysique et à la morale, il reprit en sous-œuvre toutes les autres doctrines qui empruntent leurs principes de la philosophie, la théorie des idées du beau et du sublime, celle des arts qui se proposent de les offrir réalisées, la théologie rationnelle, la morale appliquée aux relations sociales, à la législation et au droit public. Nous allons indiquer le contenu des principaux ouvrages.qui peuvent être considérés comme les parties essentielles et systématiques de son cours de philosophie : 1° Critique de la raison pure in-8o, Riga, 1781 ; 2e édit., ibid., 1787, avec des augmentations précieuses, mais aussi avec des retranchements qui font rechercher la première). Ce titre signifie : Examen de la faculté de connaître, des forces qui concourent à son exercice, de leurs lois, du jeu de leurs opérations et dès effets qui en résultent pour l’homme, relativement aux impressions qu’il reçoit, aux jugements qu’il porte, aux conceptions qu’il forme et aux idées auxquelles sa raison s’élève. L’épithète de pure que Kant donne ici à la raison, c’est-à-dire aux procédés intellectuels dont nos connaissances sont le fruit, avertit simplement qu’il les considère en eux-mêmes et dans les formes inhérentes à la faculté de connaître, indépendamment de ce qui constitue la matière de nos connaissances. Cette matière, ce sont les impressions que les objets font sur nous : ces impressions sont ensuite considérées, classées, ordonnées, combinées, c’est-à-dire soumises à l’opération de la pensée qui en forme des conceptions. Les impressions offrent un multiple, un canevas, un varium que l’entendement rappelle à l’unité. Ce rappel à l’unité embrasse, soit la totalité, soit une partie plus ou moins grande de l’impression ; dans le premier cas, il se forme la représentation d’un objet individuel, tandis que le rappel à l’unité partiel donne naissance aux notions abstraites, aux conceptions d’espèces et de genres. Les conceptions sont à leur tour comparées, combinées par une faculté supérieure qui en forme des conclusions, des notions d’enchaînement indéfini, des idées. Le pouvoir de connaître, ou l’organe cognitif, se compose donc de trois facultés distinctes : 1. La sensibilité, qui reçoit les impressions et les change en intuitions. Les fonctions de cette faculté ren

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ferment un élément actif et un élément passif. L’influence exercée par les objets extérieurs suppose dans le sujet une aptitude à être modifié par cette influence, et le pouvoir de réagir sur l’impression, une réceptivité et une spontanéité. La sensation est passive ; elle provoque un premier exercice de notre activité ; elle engage à l’intuition, qui est une production de la spontanéité au premier degré. La réceptivité est donc l’aptitude à éprouver une sensation qui fournit les matériaux de la représentation, une pluralité, un varium : la spontanéité est le pouvoir de rappeler cette multiplicité, ce varium, à l’unité. On voit que la réceptivité n’est qu’une des facultés qui forment la sensibilité ; elle reçoit des choses extérieures ou des modifications internes de l’âme, une impression qui détermine la réaction de la spontanéité. Du concours de ces deux fonctions, de l’accès donné à l’impression qui fournit la matière ou le varium, et de l’activité du moi qui produit l’unité, naît la représentation ou la conscience de la chose représentée. 2. L’entendement, qui forme les conceptions, est la spontanéité exercée à un degré supérieur, le rappel à l’unité de plusieurs intuitions à la fois ; 3° la raison proprement dite (la spontanéité élevée à la plus haute puissance) forme les conclusions, par le rappel de plusieurs conceptions à l’unité, et les idées proprement dites, en ajoutant aux conceptions de l’entendement la notion de l’infini ou de l’absolu. Chacune de ces facultés a ses formes ou lois auxquelles elle est astreinte dans ses procédés, et qui constituent sa nature. À la sensibilité appartiennent l’espace et le temps, qui sont les conditions générales de toutes nos perceptions, les cadres dans lesquels il faut que les objets s’enchâssent avant de pouvoir entrer dans la sphère de notre faculté de connaître. Cette hypothèse, si étrange au premier aperçu, résout des difficultés que Kant tient pour insolubles dans d’autres systèmes. Sans elle, il est impossible de se rendre raison du caractère de nécessité empreint dans toutes les notions qui dérivent de l’espace et du temps, et de comprendre comment il se fait que l’idée la plus abstraite ne saurait se dégager de leur enveloppe, ni le vol le plus hardi de la pensée leur soustraire la plus petite partie de notre essence. Sur l’espace et le temps purs, c’est-à-dire sur l’intuition à priori des formes inhérentes à notre sensibilité antérieurement à toute impression externe ou interne, se fondent les sciences mathématiques ; sur la notion pure de l’espace, la certitude des propositions de la géométrie ; sur la notion pure du temps, la science de l’arithmétique. L’entendement opère de même suivant ses lois propres, que Kant nomme catégories (dans un sens différent de celui où l’a pris Àristote), et qu’il établit au nombre de douze, divisées en quatre classes. Dans celle de quantité sont : 1. Unité ; 2. Pluralité ; 3. Totalité. À la classe de qualité appartiennent :