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HOR HOR 15

Tuileries, souhaiter la bonne année à la reine Hortense, entre autres madame du Cayla. On voyait alors quelquefois chez la duchesse de St-Leu le vicomte Sosthènes de la Rochefoucauld, qu’elle avait connu aux eaux d’Aix, et même le marquis de Rivière, qui, autrefois impliqué dans la conspiration de Georges, avait dû la vie aux prières de Joséphine et d’Hortense. Cependant la cause entre la duchesse de Saint-Leu et son mari commençait à se plaider. Les espérances d'Hortense se fondaient sur les droits d’une reine nommée régente par son époux, et qui par la avait reçu tout pouvoir sur ses enfants ; sur la confirmation de ses droits par décision spéciale de Napoléon; enfin sur le traité du 11 avril qui fixait l’existence des enfants avec leur mère. Mais les tribunaux voudraient-ils reconnaître les droits du gouvernement impérial sous le règne des Bourbons? La chose était plus que douteuse; les avocats de la duchesse de Saint-Leu en plaidant n’osaient pas même dire l'empereur; alors elle se fâchait: "Monsieur, disait-elle à Bonnet, vous parlez pour moi, vous devez vous identifier à ma position et vous servir de mes paroles. Ce serait une lâcheté qui aurait l’air de venir de moi, que de ne pas donner à l’empereur un titre que la France lui a conféré. » L’avocat n’en dit pas moins, dans le plaidoyer suivant, Bonaparte. Labédoyère ne cessait de reprocher à la reine d’avoir choisi de tels défenseurs. Ce fut le 7 janvier que M. Tripier, plaidant pour le comte de Saint-Leu, conclut à ce que la duchesse fût tenue de remettre à son mari l’ainé de leurs enfants. Le 19 janvier, Bonnet dans sa réponse passa en revue les différents actes qui constituaient les droits de la duchesse de Saint-Leu, et surtout les lettres patentes du 30 mai 1814 données par Louis XVIII : « Tout est terminé, ajoutait-il, par cet insigne bienfait qui a trouvé des cœurs reconnaissants. Que penser de cette indiscrète réclamation qui tend à faire un étranger du jeune duc de Saint-Leu? Peut-on l’enlever à sa mère, à sa patrie, à son roi?... Je ne veux pas jeter un coup d’œil indiscret sur les vues politiques qui peuvent être entrées dans les dispositions qui le concernent, je ne veux pas examiner si le séjour de cet enfant en France n’est pas dans l'intérêt de tous ceux entre qui ces conventions successives ont été faites, mais l’objet important c’est l’intérêt de l’enfant. Le souverain légitime a investi Napoléon-Louis d’une dignité, il a été dans son intention que Napoléon-Louis restât Français. » La réponse de Tripier présenta la conduite de la duchesse sous un jour peu favorable : « l’argument tiré de la séparation passagère des époux n’a aucune force, dit-il, pour déplacer la puissance paternelle. Si la séparation existe, c’est à elle toute seule que madame de Saint-Leu doit l’attribuer. Il lui est facile de lever cet obstacle, de s’épargner la douleur de la séparation de son enfant: qui l’empêche de se réunir à son mari ? Pourquoi ne pas faire ce léger sacrifice à celui-ci et à son affection maternelle ? Peut-être les personnes d’une morale sévère reprocheront à madame de Saint-Leu sa conduite. Après avoir uni son sort à celui de M. de Saint-Leu, à une époque brillante, où tout lui présageait une grande prospérité ; après avoir reçu de cette alliance les titres les plus faits pour flatter l’orgueil, peut-être serait-il aujourd’hui de la loyauté, de la grandeur d’une de madame de Saint-Leu d’apporter des consolations à son époux dans l'adversité ; mais si elle ne veut pas faire ce sacrifice, qu’elle n’en impute qu’à elle-même les conséquences. » Le tribunal ordonna que dans trois mois le fils ainé du comte de Saint-Leu et de la duchesse fut remis à son père ou à son fondé de pouvoirs. Il est à remarquer que la reine Hortense perdit ce procès le jour même ou elle apprit le débarquement de Napoléon au golfe Juan. Toutes les voix se réunissaient alors pour l’accuser de n’être pas étrangère au complot qui amenait cette catastrophe; on allait jusqu’à lui attribuer une part directe à la mort du général Quesnel (voy. ce nom), assassiné par des conspirateurs bonapartistes qui craignaient les dénonciations de cet officier. Ainsi entourée de soupçons, menacée dans sa liberté, elle regrette d’avoir, en restant en France, mis ses enfants dans une fâcheuse position, et elle se hâta de les envoyer en lieu de sûreté. Toutefois rien ne fut changé à ses soirées ordinaires où l’on se réjouissait assez publiquement du retour de Bonaparte. Boutiakim vint alors remplir la mission de protection dont il était chargé en lui faisant savoir qu’à la cour de Louis XVIII on l’accusait de tous les événements, et qu’on avait été jusqu’à mettre en question si l’on devait l’arrêter. Elle parut d’abord braver le péril: « Je ne puis empêcher cela, dit-elle; on fera de moi ce qu’on voudra. » Cependant Fouché, menacé lui-même d’arrestation, lui fit demander pour fuir la clef de son jardin qui donnait sur la rue Taitbout, et lui conseilla de ne pas rester chez elle. Hortense se détermina enfin à se mettre en sûreté et trouva une retraite dans la rue Duphot, chez une créole de la Martinique qui avait accompagné en France l’impératrice Joséphine. Les événements marchaient rapidement Napoléon approchait; le petit peuple se déclarait pour lui, et l’on disait qu’Hortense avait mis ses diamants en gage afin de distribuer de l’argent. Le moment vint où le roi dut quitter les Tuileries. Alors, au gré de la mobilité de ses sentiments, Hortense s'écria: «Louis XVIII, vieux et infirme, forcé d’abandonner encore sa patrie, m’inspire une profonde douleur. Le malheur des Bourbons m’intéresse, je me mets à leur place et je les trouve bien à plaindre. Je ne me souviens plus que de la manière aimable dont le roi m’a reçue ; j’espère qu’on ne leur fera aucun mal. » Elle fit alors offrir au duc et à la