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envoyèrent au secours des Crotoniates. Beaucoup moins brave que son frère, il n’était pas moins cruel, et il exécuta sans répugnance l’ordre qu’il reçut de lui de faire mourir les parents de ceux qu’il avait laissés en Afrique avec ses fils, et qui les avaient tués après son départ. Il survécut à Agathocles, et écrivit son histoire, qui est perdue. C-r.


ANTARA ou ANTAR. Jusqu’au 6e siècle de notre ère, l’histoire des Arabes est incertaine et stérile ; les faits peu nombreux dont elle se compose flottent dans un vague immense ; aucun monument authentique n’est antérieur à cette date peu reculée. La poésie elle-même, dont la voix berce l’enfance des peuples, n’a pas laissé de traces autour du berceau des fils de Jeqtan et d’Ismaél. À peine quelques sentences se sont conservées, transmises de bouche en bouche par cette longue suite de générations qui n’ont connu que fort tard l’usage de l’écriture. Aussi les historiens nationaux appellent-ils cette période les temps de ignorance. Le 6e siècle vit se lever l’aurore de la littérature arabe, aurore assez brillante, et qui annonce dignement l’ère de civilisation ouverte par le prophète. Dès cette époque, l’Arabie eut, comme la Grèce, des joutes poétiques, et décerna aux vainqueurs des récompenses nationales. Les concurrents se réunissaient tous les ans a la foire d’Ocadh ; et là, en présence des enfants du désert, ils chantaient les querelles sanglantes des tribus, les vengeances héréditaires, la valeur des guerriers, les plaisirs et les peines de l’amour, la vitesse, l’ardeur belliqueuse des coursiers. Les pièces qui obtenaient le prix étaient écrites en lettres d’or et suspendues à la porte du temple de la Mecque, circonstance qui leur fit donner le nom de Moallakat (suspendues). Parmi les poètes qui méritèrent cet honneur, le plus célèbre fut Antara, de la tribu d’Abs. Il est impossible de fixer avec précision la date de sa naissance ; elle dut précéder de quinze ou vingt ans la guerre de Dahis, qui éclata entre les tribus d’Abs et de Dbobian, à la suite d’un pari auquel avait donné lieu une course exécutée par deux chevaux fameux, Dahes et Gobra. Cette guerre, à laquelle Antara prit une part glorieuse, finit, selon la tradition rapportée par Maydanyy, vers les commencements de l’islamisme, après s’être prolongée pendant quarante ans. Antara eut pour père Scheddàd et pour mère une esclave abyssinienne, nommée Zebiba. Cette tache imprimée a son origine le fit reléguer parmi les esclaves chargés de la garde des chameaux. Mais son courage et les qualités brillantes dont la nature l’avaient doué le tirèrent de bonne heure de cette condition humiliante. Sa tribu était alors en guerre avec celle de Thaï. Dans une de leurs expéditions, les Absites victorieux refusèrent d’admettre Antara au partage du butin. L’ennemi, profitant du désordre occasionné par ce débat, se rallié et recommence le combat. Les vainqueurs surpris tournent le dos en lâchant leur proie. Antara, nouvel Achille, se tient à l’écart et les regarde fuir, sans leur porter secours. Cependant Scheddâd crie à son lila : « À la charge, Antara ! — L’esclave, répond celui-ci, n’est pas fait pour charger l’ennemi ; il n’est bon qu’a traire les chamelles et à en sevrer les petits. — À la charge ! répète Scheddåd, tu es libre ; l’esclave et toi sont deux. » Ces paroles n’ont pas plus tôt frappé l’oreille du jeune homme, qu’il fond sur les Thaïtes et les met en déroute. Antara se montra de jour en jour plus digne de la liberté qu’il avait conquise sur le champ de bataille ; il devint le rempart de sa tribu et la terreur des ennemis ; sa présence seule valait un escadron. Un jour, les Benou-Abs, conduits par Kaïs, fils de Zohaïr, reculaient devant les Benou-Temim, qu’ils venaient d’attaquer ; tout à coup Antara fait volte-face et arrête presque seul l’ennemi. Au retour de cette expédition, Kaïs dit à ses cavaliers : « Il n’y a que le fils de la négresse qui ait protégé notre peuple. À Ces paroles, où l’envie perçait à côté de la louange, furent rapportées à Antara ; la réponse qu’il y fit respire une noble fierté « La moitié de mon sang est ce qu’il y a de plus pur dans la tribu d’Abs ; quant à l’autre moitié, je soutiens sa noblesse avec la pointe de mon glaive… Lorsque notre escadron recule et que nos cavaliers se regardent indécis, alors on découvre que je suis plus noble que celui qui met sa gloire dans une nombreuse et illustre parenté. Ils le savent bien, les cavaliers, et les coursiers savent aussi que j’ai dispersé leurs rangs en les frappant avec une lame qui sépare l’âme du corps. » À la gloire des armes il joignait celle de la poésie. Retiré dans sa tente après la bataille, il chantait, aux applaudissements des guerriers, ses exploits et ceux de ses compagnons. L’amour se mêlait aussi parfois à ses accents belliqueux. La belle Abla avait touché son cœur ; mais elle ne pouvait ni l’enchaîner ni l’amollir. « Dès le lever de l’aurore, dit-il, une amie importune a cherché à me retenir et a m’inspirer la crainte de la mort ; elle paraissait penser que je pouvais trouver un abri contre les coups du destin ; et je lui répondis : La mort est un abreuvoir, et je dois un jour boire dans la coupe avec laquelle on y puise. Respecte-toi, malheureuse ! et sache que je suis homme. Ainsi, bien que le glaive m’épargne, la mort m’attend. » Dans ce cœur intrépide et fier, la générosité et même une certaine délicatesse accompagnaient la valeur. « Jamais, dit-il, je n’ai consumé le bien de l’homme d’honneur, sans mettre en réserve chez moi, pour le lui rendre, le double de ce que j’en ai pris. C’est seulement en présence des maris que j’entre chez les femmes de notre tribu ; si le mari est parti pour la guerre, je n’entre pas. Quand la femme étrangère qui est confiée à ma protection s’offre à mes regards, je baisse les yeux jusqu’à ce qu’elle nous cache ses charmes en se retirant dans sa tente. Je suis d’un naturel facile, d’un caractère noble ; je ne laisse pas mon âme s’opiniâtrer à suivre ses passions. Demande à Abla, elle te dira que je ne veux d’autre femme qu’elle. Si elle m’invite a entreprendre une affaire sérieuse, je réponds a son appel, je la protège contre tout mal, et je m’abstiens de lui en faire éprouver. » Tel est le témoignage