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nions, humain dans sa conduite ; et c’est le plus bel éloge qu’on puisse faire d’un homme qui a traversé avec un caractère public une époque de révolutions et de guerres civiles.

Ch-s.


AUBERT (François-Hubert), avocat aux conseils du roi Stanislas et à la cour souveraine de Nancy, naquit en cette ville, vers 1720. Après avoir suivi avec succès la carrière du barreau, il se fit connaître comme écrivain, en publiant un livre intitulé : le Politique vertueux, avec cette épigraphe : « La candeur et la bonne foi sont plus nécessaires à à l’homme d’État que la ruse et la dissimulation ; » Nancy, 1762, in-8° de 255 pages. On n’y trouve rien que des lieux communs de morale délayés en style diffus. Ce qu’il y a de plus intéressant est une longue épître dédicatoire à Ladislas-Ignace, comte de Berchini, avec son portrait. L’auteur y passe en revue les hauts faits du vaillant Hongrois, devenu maréchal de France ; et, malgré la forme adulatrice, on s’attache à son récit. 2° Vie de Stanislas Lecszinski, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, Paris, 1769, in-12. « Cette histoire, dit Fréron[1], est une des plus intéressantes que nous ayons. Elle fait honneur à celui qui l’a écrite. Les faits sont bien détaillés, les réflexions sages, le style simple et naturel. » Aubert, ayant été pendant vingt-neuf ans attaché au service de Stanislas, avait pu connaître par lui-même un grand nombre de traits honorables à la mémoire de ce prince. Il avait recueilli d’ailleurs des renseignements précieux de la bouche de Solignac, qui avait suivi Stanislas en Pologne, lorsqu’il fut élu roi pour la seconde fois. L’abbé Proyart, qui fit paraître une vie de Stanislas, quinze années après la publication de celle d’Aubert, a profité du travail de son devancier sans lui accorder la moindre mention. S’il l’emporte par le style, le premier en date plaît peut-être mieux dans sa simplicité. Tous les dictionnaires historiques attribuent à Aubert la Vie de Marie-Thérèse Leczinska, princesse de Pologne, reine de France et de Navarre. Paris, 1774, in-8°. Mais cet ouvrage est d’Aublet de Maubuy, avocat[2]. Après la mort de Stanislas, Aubert vint s’établir à Paris, où il fut intéressé dans plusieurs entreprises. On ignore l’époque précise de sa mort, arrivée avant la fin du 18e siècle[3].


AUBERT (l’abbé Jean-Louis), poëte, fabuliste et critique, naquit à Paris, le 15 février 1751. Son père était premier musicien de l’Académie royale de musique et de M. le duc (prince de Condé), qui fut premier ministre à l’époque de la majorité de Louis XV, et après le décès du duc d’Orléans, régent. Le jeune Aubert fit ses études au collège de Navarre, où il eut pour professeur l’abbé Batteux : il entra ensuite au séminaire, fut tonsuré, puis nommé chapelain de l’église de Paris ; mais il ne prit point l’ordre de prétrise, bien qu’avec les protections dont jouissait sa famille il eût pu facilement arriver aux dignités ecclésiastiques. Son goût pour la littérature fixa sa vocation. Il avait déjà commencé à se faire connaître par des poésies et par des fables insérées dans le Mercure de France, lorsqu’en 1752 il se chargea, pour la partie littéraire, de la rédaction des Annonces et Affiches de la province et de Paris, journal qui prit ensuite le nom de Petites Affiches, et qui existe encore aujourd’hui. L’abbé Aubert, par ses articles pleins de malice, de goût et d’érudition, fit pendant vingt ans la fortune de cette feuille, dont la destination semblait si étrangère aux lettres. Aujourd’hui ces piquants feuilletons, qui valurent a leur auteur tant de célébrité et d’injures, sont complétement oubliés[4] : il n’en est pas de même du recueil de fables qu’il publia en 1756, et dont six éditions s’épuisèrent en un très-petit nombre d’années. Elles furent bientôt connues en Europe et traduites en plusieurs langues. Le jésuite Desbillons, qui fut un des meilleurs poètes latins du dernier siècle, imita dans la langue de Phèdre onze des meilleurs apologues du nouveau recueil ; et, pour que rien ne manquât à la vogue qu’il obtenait, on ne voyait dans les salons que des écrans sur chacun desquels figurait une fable de l’abbé Aubert avec une gravure représentant le sujet. Jusqu’alors on avait regardé la Motte comme le plus heureux imitateur de la Fontaine : on mit Aubert au-dessus de la Motte. Ses fables, en effet, ont du naturel, de la grâce, souvent de la poésie ; la plupart se distinguent par un caractère philosophique qui convenait merveilleusement au temps où elles parurent. On lira toujours avec plaisir, même après la Fontaine, Fanfan et Colas, Chloé et Fanfan, l’Abricotier, le Miroir de la raison, la Force du sang, la Poule et les Poussins, etc. On a critiqué avec raison comme prolixes, inutiles ou communes quelques-unes des moralités de l’abbé Aubert. On l’a blâmé d’avoir choisi pour interlocuteurs d’une de ses fables un billet d’enterrement et un billet de mariage, et il a suffi d’une bizarrerie de cette espèce pour autoriser des critiques passionnés à jeter du ridicule sur tout le recueil. Laharpe est un de ceux qui se sont montrés le plus injustes. Appliquant à toutes les fables une remarque qu’il aurait dû restreindre à un bien petit nombre, il prononça dans le Mercure « qu’elles étaient d’une insupportable sécheresse. » Toutefois, en terminant un autre article d’ailleurs plein de fiel, le même censeur n’a pu s’empêcher d’admirer l’apologue du Miroir de la raison, qu’il cite en entier comme excellent, comme un morceau que chacun voudrait avoir fait. Voltaire, à qui le nouveau fabuliste avait envoyé son recueil, lui écrivit : « J’ai lu vos fables avec tout le plaisir qu’on doit sentir quand on voit la raison ornée des charmes de l’esprit. Il y en a qui respirent la philosophie la plus digne de l’homme.

  1. Année littéraire, t. 2, p. 196.
  2. Cette erreur a été reproduite dans l’édition du Dictionnaire de Feller donnée en 1832. t. 2. p. 282.
  3. Le continuateur du Dictionnaire de Feller (1832, t. 2, p. 282) dit qu’Aubert mourut en 1801 ; mais cette date est au moins incertaine.
  4. Parce qu’ils n’ont pas été recueillis ; mais ils méritaient de l’être autant que ceux de Geoffroy, de Dassault, etc. Ils seraient utiles pour l’histoire littéraire du règne de Louis XVI.
    V-ve.