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ANN

dans le centre. Ce fut alors que la meilleure infanterie d’Annibal, postée à droite et si gauche, attaqua de front et en flanc le centre des Romains, qui s’était ainsi témérairement engagé. Il rompit leur ligne ; et Asdrubal, après avoir détruit presque entièrement la cavalerie des Romains, se liant, par une conversion, avec les Numides, laissa ceux-ci poursuivre les fuyards, et se jeta sur les derrières du centre de l’armée de Varron, dont il acheva la défaite. L’infanterie romaine du centre fut taillée en pièces, tandis que le reste, étant contenu, pouvait à peine combattre, et fut a la fin culbuté par la nombreuse et excellente cavalerie carthaginoise. L’armée de Varron fut détruite, le consul Paul-Émile se fit tuer, et près de 6,000 chevaliers et 60,000 soldats romains périrent dans cette bataille célèbre, l’an 210 avant J.-C. Le vainqueur envoya au sénat de Carthage un boisseau d’anneaux pris aux doigts des chevaliers romains morts sur le champ de bataille. Le lendemain, quelques corps qui s’étaient retirés dans deux camps furent obligés de mettre bas les armes. Au lieu de marcher droit à Rome, Aunibal s’avança vers Naples. Ce fut alors que Maherbal, son général de cavalerie, lui dit : « Tu sais vaincre, Annibal, mais tu ne sais point profiter de la Vietoris ! » Tite-Live semble approuver ces paroles remarquables. Ce fut une faute, en effet, de n’avoir pas été camper sous Rome, qui, voyant les vainqueurs à ses portes, n’aurait probablement pas pu se remettre de son effroi. Tout invitait Annibal à profiter des faveurs de la fortune. Cependant, réduit à 36,000 hommes, comment aurait-il investi une ville si étendue, et dont les murs étaient gardés par deux légions et par toute sa population guerrière ? Aucun peuple d’Italie ne s’était encore déclaré en faveur d’Annibal. « Une preuve qu’il n’aurait pas réussi, dit Montesquieu, c’est qu’après la défaite de Cannes, les Romains furent encore en état d’envoyer partout des secours. » Que ne devait-il pas craindre, en effet, d’un peuple qui, après ce grand désastre, refusait de racheter les prisonniers ? Quoi qu’il en soit, la victoire de Cannes avait ouvert à Annibal toute cette partie de l’Italie qu’on appelle la grande Grèce. N’ayant pu emporter Naples, il tourna sa marche vers Capoue, qui lui ouvrit ses portes. Le séjour de cette ville opulente amollit ses soldats : c’est du moins l’opinion de quelques historiens plus moralistes que politiques. L’armée d’Annibal ne perdit point sa discipline à Capoue ; constamment fidèle à son chef, on la vit s’exposer sans murmures à de nouvelles fatigues, et se maintenir encore en Italie pendant douze ans. Ce qui mit des bornes à ses conquêtes, ce fut la fermeté des Romains, qui se montrèrent supérieurs aux revers de la fortune ; ce furent les succès que les Scipions obtinrent en Espagne. En une seule année, Rome leva dix-huit légions. Nole sut résister à Annibal ; mais Tarente, ville puissante et riche, lui fut livrée par trahison, l’an 212 avant J.-C. Aucun général romain depuis la bataille de Cannes, n’osait plus camper en plaine devant l’armée d’Annibal. Cependant, malgré l’éclat de ses victoires et le crédit de la faction Barcine à Carthage, Hannon et ses partisans retardèrent le secours que le sénat avait accordé au vainqueur des Romains. Son frère Magon, qu’il avait envoyé à Carthage, n’obtint qu’avec peine 12,000 fantassins et 2,500 chevaux, et encore fut-il contraint de mener ce faible renfort en Espagne. Abandonné ainsi par l’effet des intrigues d’une faction rivale, Annibal se vit forcé de rester sur la défensive. Déjà même Capoue était à la veille de retomber sous la puissance romaine : deux armées consulaires en faisaient le siége. Annibal, espérant sauver, par une diversion hardie, cette ville importante, marche sur Rome, et vient camper à la vue du Capitole, l’an 211 avant J.-C. Le même jour, les Romains envoyèrent un secours en Espagne, et vendirent les terres où Annibal campait. Ne pouvant plus rien entreprendre de décisif contre une nation qui déployait tant d’énergie, Annibal abandonna le territoire de Rome, sans avoir pu sauver Capoue. L’heureux succès de ce siége donna aux Romains une supériorité évidente, et disposa presque tous les peuples d’Italie à se déclarer pour eux. Annibal releva néanmoins sa réputation par la défaite du consul Fulvius. Mais bientôt Fabius Marcellus, en trois jours, lui livre trois combats peu décisifs ; le quatrième jour, il lui présente encore la bataille ; Annibal se retire en disant : « Que faire avec un homme qui ne peut se résoudre à rester vainqueur ou vaincu ? » De son côté, Fabius reprit Tarente au moment même où Annibal s’avançait en toute hâte pour sauver cette ville. La défaite de Sempronius Gracchus, et la mort de Marcellus, surpris dans une embuscade, ne firent point changer la fortune. Repoussé même dans son camp par le consul Claude Néron, Annibal ne put rien tenter pour se joindre à son frère Asdrubal, qui venait à son secours du fond de l’Espagne. Il avait déjà passé les Apennins, lorsqu’il fut attaqué et tué, l’an 207 avant J.-C., par ce même Néron, qui, revenant sur ses pas, fit jeter sa tête sanglante à l’entrée du camp d’Annibal. Ce spectacle arracha au fils d’Amilcar ces mots dictés par la plus profonde douleur : « O Carthage ! malheureuse Carthage ! je succombe sous le poids de tes maux ! » Il lève aussitôt son camp, et se retire dans le pays des Bruttiens. Là, environné d’obstacles, il ose encore lutter avec des forces inégales contre des armées victorieuses, et se maintient avec gloire dans un coin du Bruttium. Mais Rome, par de puissantes diversions, avait déjà reconquis la Sicile et l’Espagne ; déjà même l’heureux Scipion, après avoir porté la guerre en Afrique, faisait trembler Carthage. Rappelé pour défendre sa patrie, Annibal ne put retenir ses larmes en lisant les ordres du sénat. Jamais exilé, suivant Tite-Live, ne témoigna autant de regrets en quittant sa terre natale. « Ce n’est point par les Romains, dit-il, mais par le sénat de Carthage, qu’Annibal est vaincu ! » Ses troupes s’embarquèrent, à l’exception de ses auxiliaires d’Italie qui refusèrent de le suivre. Annibal, aigri par le malheur, les fit tous massacrer dans le temple même de Junon, à Lacinium, en Calabre. Il partit enfin, l’an