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période, il trouva son refuge dans les lettres : exempt de la conscription comme homme marié, il ne chercha pas même à rentrer dans les bureaux de la fabrication du papier-monnaie, et il fit bien : car alors le moindre employé était sujet aux dénonciations ; et pour peu qu’il fût vulnérable, il finissait par recevoir sa destitution sur l’échafaud. Heureux de conserver au milieu des troubles et des malheurs publics tout son calme, toute sa liberté d’esprit, ce fut durant cet intervalle qu’il fit représenter, sur différents théâtres, tragédies, opéras-comiques, vaudevilles, etc. D’abord, au Vaudeville, la Tentation de St. Antoine, comédie-parade qui eut douze représentations et qui n’a pas été imprimée, le manuscrit ayant été soustrait par le souffleur du théâtre. Il compose ensuite Phrosine et Mélidor, opéra comique dont Méhul fit la musique. La censure dramatique, alors exercée par des agents de la commune de Paris, était fort tracassière. Baudrais, chargé d’examiner le manuscrit, ne trouva dans la pièce rien que d’innocent ; « mais ce n’est pas assez, ajoutait-il, qu’un ouvrage ne soit pas pour nous. L’esprit de votre ouvrage n’est pas républicain ; les mœurs des personnages ne sont pas républicaines ; le mot liberté n’y est pas prononcé une seule fois. Il faut mettre votre opéra en harmonie avec nos institutions. » Pour satisfaire à cette exigence, Arnault amena plusieurs fois dans son drame le mot en question. Phrosine et Mélidor allait être représenté, lorsqu’on lui fit observer, ainsi qu’à Méhul, qu’il fallait payer à l’esprit de la république un tribut encore plus marqué. Alors les deux auteurs se réunirent pour improviser les vers et la musique de quelques scènes intitulées : Horatius Coclès. Cette pièce patriotique eut le plus grand succès auprès des meneurs de l’époque, et ouvrit enfin l’accès du théâtre à Phrosine et Mélidor, qui, grâce surtout à la charmante musique de Méhul, eut quarante représentations non interrompues. Si Arnault ne se fit pas scrupule, comme tant d’autres, de se conformer à l’esprit du temps, du moins ne fut-il jamais au nombre des panégyristes de Robespierre ou de ses rivaux, qui, « pour être moins cyniques en cruauté, n’en étaient pas plus humains[1]. » Loin de là, au moment où ce farouche triumvir était plus puissant que jamais, Arnault conçut l’idée de la tragédie de Cincinnatus, ou Conspiration de Spurius Melius. D’Avrigny, Legouvé, Méhul et hoffmann, auxquels il récita le second acte dans les premiers jours de thermidor, furent étonnés de l’audace de ses intentions. « Cette pièce vous perdra, disaient ils, si le monstre ne se perd pas avant vous. Mais continuez, ajoutait Hoffman, vous n’arriverez pas au dénomment avant lui. » En effet, cette tragédie, qui fait une allusion continuelle à la politique de Robespierre, n’était pas encore achevée, quand la mort de ce tyran vint dénouer le drame que lui-même jouait en réalité. Cincinnatus ne fut donc représenté qu’après le 9 thermidor. Malgré la faiblesse du plan, le facile mérite des allusions procura à cette tragédie un succès justifié d’ailleurs par la mâle énergie du style et la force des pensées. L’auteur a représenté, selon l’expression de Chénier, l’âge d’or de la république romain : on y voit une liberté sage et l’empire des lois triompher d’un ambitieux, d’un démagogue hypocrite. Le moment était venu où, pour se réconcilier avec la civilisation[2], la convention affectait de relever l’honneur des lettres. C’est alors qu’elle accorda des secours à un assez grand nombre de littérateurs, parmi lesquels était Arnault. Il n’accepta point. « Mon refus, écrivait-il au président du comité l’instruction publique, ne doit surprendre ni offenser personne. J’aime à croire que Vigée et Picard ne me feraient pas l’injure de douter que je n’eusse été fier de me trouver placé prés d’eux, etc. » Arnault était alors tout occupé d’une nouvelle tragédie : Oscar, fils de Dermid ; et comme il composait ses vers en se promenant aux environs de Montmorenci, les paysannes qui le voyaient gesticuler le prenaient pour un prédicateur, trait que Picard a rappelé dans sa comédie des Amis de collége :

Les dévots du pays l’ont pris pour le vicaire,
Répétant le sermon qu’il nous doit dire en chaire.

Dans Oscar, l’amour furieux et jaloux est aux prises avec l’amitié ; l’énergie des passions s’y déploie ; plusieurs scènes offrent des traits du plus beau dialogue ; enfin l’ouvrage est écrit avec chaleur. Les trois premiers actes furent couverts d’applaudissements mérites ; mais l’auteur fut obligé de changer le quatrième et surtout le cinquième acte, qui avaient été mal reçus du public. Entre la réception et la première représentation de cette tragédie, il avait fait avec le négociant Lenoir, son ami, un voyage dans le midi de la France. Après avoir visite Lyon qui sortait à peine des ruines du siége, il alla passer quatre mois à Marseille, où il se lia avec le conventionnel Fréron et avec plusieurs membres de la famille de Bonaparte. Admis à son retour a Paris dans les salons du directoire, il se trouva en relation avec les personnages les plus marquants de l’époque. Il était de la société de mesdames Bonaparte et Tallien ; et, a cette occasion, il raconte dans ses Souvenirs plus d’une piquante anecdote. C’était le moment où le succès d’Oscar ajouta à sa réputation, et par conséquent aux agréments qu’il pouvait trouver dans cette agglomération d’hommes politiques, de fournisseurs, de littérateurs, et de femmes plus ou moins affichées, qui formaient alors ce qu’on appelait le beau monde. Dans ces brillantes réunions, Arnault n’était le courtisan de personne. Doué d’un caractère peu flexible, il parut toujours moins jaloux d’être aimé que d’être craint. Vers la fin de 1796, il commença sa tragédie des Vénitiens, ou Blanche et Montcassin, sujet qui lui fut indiqué par Maret, lequel l’avait trouvé lui-même dans un recueil intitulé : Soirées littéraires. Pour peindre avec plus de vérité dans cette tragédie les institutions vénitiennes, Arnault se mit à étudier le livre

  1. souvenirs d’un sexagénaire
  2. Souvenirs, t. 1, p. 52.