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ANN

que, pour choisir un tel genre d’ornement, on avait consulté le goût de cette illustre princesse. F-e.


ANNE d’Autriche, fille aînée de Philippe III, roi d’Espagne, épousa Louis XIII, roi de France, le 25 décembre 1615. Ce mariage, qui renversait toute la politique de Henri IV, ne put maintenir longtemps la paix entre les deux royaumes ; aussi cette princesse ne fut-elle pas heureuse. Louis XIII, peu disposé à se laisser séduire par les grâces et la beauté, mais facile à conduire par la persuasion, parce qu’il joignait à un caractère faible un esprit juste et un vif désir de faire le bonheur de la France, accorda toujours plus d’empire à ses favoris qu’à son épouse. Lorsque Richelieu parvint au ministère, sa plus constante pensée fut d’abattre tout ce qui pourrait lui nuire ; craignant de voir ses ennemis secondés par la reine, il ne négligea rien pour la mettre elle-même dans l’impossibilité d’agir. Anne d’Autriche, bonne, généreuse, d’une humeur affable, mais fière, croyait ne devoir dissimuler, ni son mécontentement du peu de confiance que lui témoignait le roi, ni l’attachement qu’elle conservait à sa famille, malgré les guerres qui divisaient les deux royaumes. Richelieu profita de quelques paroles légères échappées à une épouse mécontente, pour faire appréhender au soupçonneux Louis XIII que la reine ne fût entrée dans les complots de Talleyrand, comte de Chalais. (Voy. Talleyrand.) Cette conspiration ne devait probablement attaquer que le ministre ; mais, pour effrayer le monarque, on lui fit entendre qu’il s’agissait de le renverser du trône, après l’avoir fait déclarer impuissant, et de donner son épouse à Gaston d’Orléans, son frère. Anne répondit à cette accusation « qu’elle aurait peu gagné au change, de commettre un si grand crime pour un si petit intérêt ; » ce qui était fort juste ; car Gaston avait encore moins de caractère que Louis XIII, et ne possédait pas autant de vertus. Il ne pouvait y avoir de preuves contre cette princesse ; mais Richelieu connaissait l’effet qu’un pareil soupçon pouvait produire sur l’esprit du roi ; aussi, lorsqu’il accusa plus tard Anne d’Autriche d’entretenir des correspondances avec les ennemis de l’État, il la réduisit au rôle d’accusée, et cette princesse fut obligée de répondre au chancelier sur les intelligences quelle pouvait avoir avec les puissances étrangères ; ses aveux prouvèrent qu’elle avait toute l’imprudence que donne la fierté blessée ; mais il aurait été impossible de découvrir dans ses lettres la trace d’aucun projet, d’aucune pensée contraire aux intérêts de la France. Toujours humiliée, toujours négligés par son époux, elle restait sans influence : un heureux rapprochement mit ses ennemis dans la nécessite de la respecter ; elle devint enceinte, et donna le jour à Louis X IV, le 5 septembre 1638. Louis XIII, qui suivit de près au tombeau le cardinal de Richelieu, avait cru pouvoir borner le pouvoir de la reine ; mais a peine avait-il fermé les yeux que son testament fut cassé par le parlement, et Anne d’Autriche obtint sans partage la régence du royaume et la tutelle de ses enfants. Rien n’éclaire comme le malheur, et la nécessité de tourner toutes ses pensées sur soi-même ; aussi la reine, qui avait mille raisons de haïr la mémoire du cardinal de Richelieu, se fit une loi de maintenir son ouvrage : il avait agrandi l’autorité royale, c’est tout ce qu’elle voulut se rappeler. « Si cet homme eût vécu jusqu’à cette heure, dit-elle un jour en regardant un portrait du cardinal, il aurait été plus puissant que jamais. » Elle compta moins les services qu’on lui avait rendus que ceux qu’on pouvait rendre à l’État ; et, dans la crainte d’être trahie par les grands, intéressés à renverser la politique de Richelieu, elle donna toute sa confiance à Mazarin, qui, étant étranger, ne pouvait trouver qu’en elle un véritable appui. C’est avec raison qu’on a comparé la position et la conduite d’Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, a la conduite que tint Blanche de Castille, mère de St. Louis, dans les premiers jours du règne de son fils. Il était impossible que les oppositions formées sous le ministère de Richelieu n’éclatassent point : les Français n’ont jamais supporté sans impatience le joug de l’étranger ; une régente espagnole et un premier ministre italien rappelaient les temps malheureux de Catherine et de Marie de Médicis : c’était assez pour les faire renaître. Quelques opérations de finance, mal conduites par des Italiens, offrirent l’occasion d’éclater, et dès lors commencèrent les troubles et les guerres de la fronde ; époque mémorable, ou tous les partis étaient unis par l’espoir de participer au gouvernement, aucun, par le désir d’y introduire des innovations. Les princes et les grands prétendaient revenir à l’ancienne monarchie ; la reine voulait la maintenir ce que le cardinal de Richelieu l’avait faite, et le parlement, qui venait d’accorder la régence, se croyait de bonne foi autorisé à régler les démarches du conseil royal. Le peuple, dans cette circonstance, comme dans toutes celles où on le flatte, voyait des amis dans ceux qui criaient contre les impôts, et payant gaiement, pour renverser Mazarin, beaucoup plus que ce ministre ne lui aurait jamais demandé. Que Mazarin triomphât, que ce fût le grand Condé, ou même le cardinal de Retz, l’établissement du pouvoir absolu était inévitable ; car aucun chef ne pensait sérieusement à renverser l’ouvrage de Richelieu. C’est ce dont il faut bien se convaincre, pour comprendre toutes les variations qu’il y eut dans les partis, et pourquoi les plus échauffés contre la cour lui revenaient, aussitôt qu’elle flattait leur ambition personnelle. Anne d’Autriche se conduisit avec une fermeté, une persévérance, qui lui font le plus grand honneur, et qui lui méritèrent, jusqu’au tombeau, la reconnaissance et l’amour de Louis XIV. La vive douleur que ce monarque montra en la perdant, ses larmes, les lettres qu’il écrivit dans ce triste moment, suffiraient pour venger cette princesse des accusations portées contre elle sous le règne de Louis XIII, et des bruits injurieux répandus sur sa conduite pendant les troubles civils. En effet, on vit l’Espagne s’unir aux factieux, correspondre avec le parlement de Paris, pour accabler cette même reine qui avait été accusée de préférer les intérêts de l’Espagne a la gloire de la France. Elle parvint à terminer la