Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
ARC

de la manière dont il les présente qu’il a découvert ses principaux théorèmes. Si l’on s’arrêtait au sens propre des expressions dont il se sert dans les lettres d’envoi qui précèdent les ouvrages que nous avons cités, on serait autorisé à croire qu’il connaissait ces théorèmes avant d’en avoir la démonstration ; c’est pour cela qu’il serait curieux de posséder le tableau de la science à l’époque où il écrivait, afin de saisir le fil qui a pu le diriger. Quoi qu’il en soit, on peut remarquer, par la comparaison des traités de la sphère et du cylindre, de la mesure du cercle, avec les propositions correspondantes dans quelques éléments de géométrie, où l’on s’est relâché sur la rigueur des démonstrations, que c’est seulement cette rigueur et les détours qu’il faut employer pour l’obtenir qui ont dû coûter de la peine à Archimède, et qui rendent difficile la lecture de ses écrits. La vérité des propositions se trouve en quelque sorte le dernier terme d’une approximation qui se présente d’elle-même, et que la considération des indivisibles de Cavalleri, ou celle des infiniment petits de Leibnitz, transforment en une évaluation rigoureuse. Comme je l’ai déjà dit, le traité des spirales renferme des propositions d’un ordre plus élevé, mais il est aussi plus obscur. Boulliau, astronome célèbre et géomètre instruit, déclarait n’y rien comprendre, et Viète l’accusait de fausseté : mais c’est à tort ; car le calcul différentiel et le calcul intégral en ont fait retrouver tous les résultats. Ce traité est donc une preuve d’une grande force de tête dans son auteur, et celui de la quadrature de la parabole n’annonce pas moins de sagacité. Archimède est le seul des anciens qui nous ait laissé quelque chose de satisfaisant sur la théorie de la mécanique et sur l’hydrostatique, dans ses traités sur les centres de gravité des lignes et des plans, et sur l’équilibre des corps plongés dans un fluide. Il a, le premier, fait connaître ce principe, « qu’un corps plongé dans un fluide perd une partie de son poids égale à celui du volume de fluide qu’il déplace. » Il s’en est servi pour déterminer l’alliage introduit en fraude dans une couronne que le roi Hiéron avait commandée en or pur. La solution de ce problème lui causa tant de joie, dit-on, qu’il sortit tout nu du bain et courut dans Syracuse, en criant : « Je l’ai trouvé ! je l’ai trouvé ! » Cette anecdote, qu’on lit dans toutes les vies d’Archimède, pourrait bien n’être qu’une de ces exagérations dont le vulgaire croit devoir embellir l’histoire des grands hommes ; elle a sans doute pour fondement la préoccupation assez ordinaire aux esprits livrés à des méditations profondes, et qu’Archimède, à ce qu’il parait, portait très-loin. Il fut ainsi consulté, dans plus d’une occasion, par les premières personnes de l’État ; c’est au roi Gélon, fils d’Hiéron, qu’il adressa le livre intitulé : Arénaire, dans lequel il se montre astronome et arithméticien habile, à une époque où les calculs numériques n’étaient pas réduits en règles, comme ils le sont maintenant. Cet ouvrage, qui semble d’abord n’être qu’un jeu d’esprit, avait pourtant un but très-philosophique, puisqu’en donnant la formation d’une progression numérique, au moyen de laquelle on pouvait exprimer non-seulement le nombre des grains de sable contenus dans un volume égal à celui de la terre, mais encore dans une sphère de même rayon que celle à la surface de laquelle on supposait alors les étoiles fixes attachées, il tendait à préciser les idées qu’on se faisait sur le système du monde. Ce problème indiquait un esprit de calcul peu commun, à ce qu’il parait, dans ce temps, et sa solution n’était pas sans quelque difficulté, parce qu’on n’avait point de notation commode pour représenter de grands nombres. Il semble aussi que la mécanique pratique était une science toute nouvelle au temps d’Archimède ; car Pappus, en lui faisant dire qu’il ne demandait qu’un point d’appui pour mouvoir la terre, exprime l’espèce d’enthousiasme que lui avait inspiré la puissance que les machines ajoutent aux efforts de l’homme. Il est peut-être le premier inventeur des moufles, c’est-à-dire d’une combinaison de poulies avec laquelle on élève les plus grands fardeaux : ce n’est du moins que de cette manière qu’on peut entendre ce que dit Athénée de la machine qu’employait Archimède pour mouvoir un vaisseau d’une grandeur extraordinaire. Probablement il y a encore de l’exagération dans ce que l’on raconte à ce sujet, et je renvoie sur cela le lecteur aux réflexions judicieuses de Montucla. (Histoire des Mathématiques, 2e édition, t. 1e, p. 230.) On met encore au nombre des inventions d’Archimède la vis sans fin et la vis creuse, dans laquelle l’eau monte par son propre poids. Il imagina cette dernière pendant le voyage qu’il fit en Égypte, où il l’appliqua a dessécher des terres inondées par le Nil ; mais c’est pendant le siége de Syracuse qu’Archimède déploya tous ses moyens pour la défense de sa patrie. Polybe, Tite-Live et Plutarque, dans la Vie de Marcellin, parlent en détail et avec admiration des machines puissantes et variées qu’il opposa aux attaques des Romains. On sait que ce ne fut que par surprise qu’ils parvinrent à s’introduire dans la place. On dit qu’Archimède, absorbé par ses méditations, ignorant que la ville était tombée au pouvoir de l’ennemi, fut tué par un soldat romain, qui venait le chercher de la part de Marcellus, et qui fut irrite de ne pouvoir l’arracher aux réflexions dans lesquelles il était plongé. En racontant cette mort, Plutarque ajoute que Marcellus eut en horreur le meurtrier d’Archimède, et qu’il rechercha, caressa et honora les parents de ce grand géomètre. On fixe la prise de Syracuse à l’an 212 avant l’ère chrétienne ; ainsi Archimède avait 75 ans lors› qu’il perdit la vie. Ses intentions furent suivies après sa mort, puisqu’on lui éleva un tombeau surmonté d’une colonne, ou cylindre, sur laquelle on grava le rapport de la capacité de ce corps à celle de la sphère inscrite, découverte à laquelle Archimède attachait un grand prix. Le souvenir de la forme de ce tombeau se conservait à Rome, lorsque les compatriotes d’Archimède croyaient que le monument n’existait plus. Cicéron, étant questeur en Sicile, le découvrit au milieu des ronces qui le cachaient en partie. Plutarque dit qu’Archimède prisait beaucoup plus