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dont les manières dures l’avaient révoltée. Il fut convenu que ce ministre serait suppléé par le maréchal de Turenne : mais l’exclusion de Louvois n’était qu’apparente ; consulté en secret, il dirigeait tout ans être vu. Le roi avait exigé que le secret de la négociation fût caché à son frère : Madame n’avait pas eu de peine à le promettre, et cependant Monsieur connut une partie du secret (voy. TURENNE). Tout étant préparé, le voyage de Flandre fut annoncé : son motif apparent était de faire voir à la reine les villes provenant des droits de cette princesse, qui venaient d'être réunies à la France. Quand la cour fut à Calais, Madame passa à Douvres, sous le prétexte de rendre visite à son frère, qui s’y était transporté de son côté. Voltaire place cette entrevue à Cantorbéry ; c’est une erreur démentie par tous les autres historiens. On avait pris le soin de faire accompagner Madame par mademoiselle de Kéroual, jolie Bretonne, qui plut à Charles, devint par la suite duchesse de Porstmouth, et contribua, dit-on, à la conclusion du traité. Au bout de dix jours, Madame revint en France comblée d’honneurs, apportant un traité sur lequel reposait le sort de plusieurs États. « La confiance de deux si grands rois, disait Bossuet, l’élevait au comble de la grandeur et de la gloire, » lorsque, le dimanche 29 juin 1670, retentit tout à coup dans St-Cloud ce cri : Madame se meurt, Madame est morte ; cri que nos neveux répéteront tant qu’on se souviendra de nos princes et que nos chefs-d’œuvre seront admirés. La princesse se plaignait d’un mal de côté et d’une douleur dans l’estomac. À sept heures du soir, elle demanda un verre d’eau de chicorée, qu’elle prenait depuis quelques jours. À peine l’eut-elle bu, qu’elle ressentit dans le côté une douleur violente qui lui arracha des cris perçants. Le mal, loin de se calmer par les remèdes, devenait d’instant en instant plus alarmant. Madame ne cessait de s’écrier qu’elle était plus malade que l’on ne pensait ; qu’elle allait mourir, et qu’il fallait lui aller chercher son confesseur. Elle embrassa Monsieur, qui était devant son lit, et lui dit avec douceur : « Hélas ! Monsieur, vous ne m’aimez plus, il y a longtemps ; mais cela est injuste, je ne vous ai jamais manqué. Elle ordonna de faire l’examen de l’eau de chicorée, assurant qu’elle était empoisonnée, et elle rétracta cet ordre quelques instants après. Monsieur s’empressa même de boire une partie du résidu. Des contre-poisons lui furent administrés. Bientôt le curé de St-Cloud survint : Madame se confessa, sans permettre à l’une de ses femmes de chambre, qui soutenait ses oreillers, de se retirer. Le roi, averti, arriva de Versailles à onze heures du soir ; il conféra avec les médecins, dit adieu à sa belle-sœur en pleurant, et se retira consterné. Madame de la Fayette fit appeler M. Feuillet, chanoine de St-Cloud, qui exhorta la princesse à la mort avec une énergie austère

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qui pour les lecteurs attendris semblait de la dureté. Bossuet accourt de Paris, et parle de Dieu et de l’éternité avec ce profond sentiment qui anime tous ses discours. Le zèle de ces deux hommes apostoliques ne fut pas perdu. Madame vit la mort en chrétienne ; elle accepta ses souffrances avec résignation, et expira à trois heures du matin ; elle avait à peine vingt-six ans. On lui vit conserver jusque dans les bras de la mort son caractère de grâce et d’amabilité : aussi n’oublia-t-elle pas M. de Condom dans ce dernier moment, et elle donna l’ordre de lui remettre, quand elle ne serait plus, une bague d’émeraude qu’elle lui avait destinée. Bossuet fait allusion à ce dernier souvenir de Madame dans son oraison funèbre, l’un des plus beaux modèles de l’éloquence de la chaire. Cette mort produisit une surprise que l’on n’essayera pas de peindre ; et encore aujourd’hui l’on se demande quelle a pu en être la cause. Il y aurait de la témérité à prétendre résoudre ce problème historique : on se contentera d’exposer ici des doutes. Les médecins qui firent l’ouverture du corps, en présence de l’ambassadeur d’Angleterre, déclarèrent que la mort avait été naturelle. Vallot, premier médecin du roi, donna par écrit un avis qui a été conservé : il dit que depuis longtemps il avait une très-mauvaise opinion de la santé de Madame ; qu’à l’ouverture de son corps, il avait reconnu que le foie et le poumon étaient entièrement corrompus, tandis que le cœur et l’estomac avaient conservé toute leur intégrité. Les historiens français et anglais ont pour a plupart adopté l’opinion de ce médecin. D’un autre côté, la France avait un grand intérêt à établir qu’il n’y avait pas eu de poison : on redoutait à Versailles une rupture avec Charles II, et il serait possible que de grandes vues politiques eussent eu de l’influence sur les rapports des médecins. On voit dans la correspondance de M. de Montaigu, ambassadeur d’Angleterre, avec sa cour, qu’il demanda à Madame, au lit de la mort, si elle se croyait empoisonnée, et que M. Feuillet prévint la réponse de la princesse, en lui disant de n’accuser personne, et d’offrir à Dieu sa mort en sacrifice. Madame de la Fayette, témoin de cette horrible scène, penche pour le poison. La princesse palatine de Bavière, seconde femme de Monsieur, qui avait recueilli tout ce que l’on savait à la cour sur cette mort, fortifie singulièrement ces doutes : elle affirme qu’il n’est que trop vrai que Madame Henriette a été empoisonnée ; elle assure même que cette princesse avait trois trous dans l’estomac. Son récit s’accorde presque en tout avec celui du duc de St-Simon : Mais, si ce crime parait trop certain, qui doit-on en accuser ? On éprouve un soulagement en voyant St-Simon et tous les contemporains écarter et démentir les bruits qui avaient circulé dans le peuple, à l’égard d’une personne auguste, et l’on s’accorda généralement accuser de ce forfait le chevalier de Lorraine. Retiré à