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vint aussitôt d’écrire une symphonie dans laquelle chacun des instruments se tait l’un après l’autre, avec cette indication : Ici l’on éteint sa lumière. Chaque musicien, à son tour, souffla sa bougie, se leva et partit. Cette pantomime eut tout le succès désiré : le prince, dès le lendemain, donna l’ordre du retour à la capitale. Admirable dans ses symphonies, première base de la réputation dont il jouit chez tous les peuples civilisés, Haydn ne se présente pas avec moins de supériorité dans un genre dont la connaissance, il est vrai, est réservée à un petit nombre d’amateurs, le quatuor, de toutes les compositions instrumentales celle que les maîtres de l’art regardent comme la plus difficile. Avec quelle verve, quel esprit ce grand artiste y engage, y soutient la conversation musicale ! Que les surprises y sont imprévues et piquantes ! Parmi ses oratorios ou cantates, la Création mérite, sans contredit, le premier rang. Ce chef-d’œuvre est le seul que l’on ait longtemps entendu à Paris ; et encore n’était-il connu du public que d’après une traduction ou parodie anti-musicale et par une exécution très-imparfaite. On y a cependant remarqué le Chaos, le Fiat lux, la Création de la femme, et le Chœur des anges qui célèbrent la naissance du monde. C’est ce morceau qui fit verser des larmes à l’auteur lui-même, lorsque la Création fut exécutée en sa présence, au grand concert donné en son honneur peu de temps avant sa mort. Les Saisons, sujet beaucoup trop vague, ne pouvaient produire qu’une composition très-inférieure ; c’est d’ailleurs la dernière qui soit sortie de la plume de l’illustre vieillard. L’oratorio des Dernières paroles de Jésus-Christ offre une particularité remarquable : le texte a été composé longtemps après la musique. Suivant un ancien usage, l’évêque de Cadix pendant la semaine sainte monte en chaire et prononce successivement une des sept dernières paroles du Sauveur mourant ; il la fait suivre d’une méditation. L’orgue remplit cette pause. Haydn fut invité à traiter ce sujet. Il y consentit, malgré la difficulté de faire succéder les uns aux autres sept adagio d’orchestre sans le secours du chant. Ce ne lut que plusieurs années après, qu’un chanoine de Passau imagina de placer des paroles sous cette musique, d’après les sentiments qu’elle lui paraissait exprimer. Ce procédé, qui peut être trouvé bizarre parce qu’il contrarie l’usage reçu, aurait eu l’approbation d’un célèbre musicien de nos jours, qui, plein de naturel au théâtre, fut souvent très-systématique dans ses écrits. Cette observation est ici d’autant mieux à sa place, que c’est au sujet de Haydn lui-même que Grétry demande très-sérieusement pourquoi l’on ne prête pas à ses symphonies les paroles qu’elles semblent réclamer[1]. C’est le même auteur des Essais sur la musique qui regrette qu’un esprit supérieur n’ait pas arrêté Haydn après ses premières productions instrumentales, en lui adressant les conseils suivants : « C’est assez peindre des figures vagues, appliquez vos idées à un sujet plus déterminé, fondez votre idiome musical avec le langage des passions ; craignez qu’un jour il ne soit plus temps, parce que vous aurez contracté une trop forte habitude de peindre sans objet et sans être guidé par l’accent des différents caractères.-Ne croyons pas que le musicien qui a passé la moitié de sa vie à faire des symphonies puisse changer de système et s’assujettir aux paroles. On ne peut devenir esclave après avoir été libre : le contraire est plus facile[2]. » Malgré cette dernière assertion, il est bien certain que Grétry lui-même ne fût jamais parvenu à composer une symphonie qui approchât de celles de Haydn ; mais on ne peut nier malheureusement qu’il n’a que trop bien choisi son exemple, pour justifier la vérité de ses remarques sur la différence qui existe entre le symphoniste et le compositeur dramatique. Il en coûte d’avouer que ce génie si abondant, si vigoureux lorsqu’il est livré à lui-même dans tous les genres de composition instrumentale, devient quelquefois presque méconnaissable quand il est obligé d’asservir ses idées à celles du poete et de se restreindre dans les bornes imposées par l’action théâtrale. Ce serait une triste étude que de chercher à mesurer à quelle énorme distance l’immortel symphoniste est resté, dans la tragédie lyrique et l’opera buffa, de ses deux célèbres compatriotes Gluck et Mozart.

S-v-s.


HAYDN (Michel et Jean), tous deux frères du grand Haydn. Cet honneur seul est un titre à ce qu’il soit fait mention de ces musiciens qui, d’ailleurs, n’étaient point absolument indignes de porter un nom devenu aussi fameux. Michel surtout mérite d’être distingué : il était maître de chapelle et directeur des concerts de l’archevêque prince de Saltzbourg. Il a laissé des morceaux de musique sacrée d’un style si remarquable, que son illustre frère déclara qu’il le regardait comme le premier homme du siècle en ce genre, toutefois après Mozart, que sa messe de Requiem met hors de ligne. Michel Haydn était, en outre, excellent organiste. Il est mort le 8 août 1806. —Jean est mort attaché à la chapelle* du prince Esterhazy.

S-v-s.


HAYDON (Benjamin-Robert), peintre d’histoire anglais, naquit à Plymouth en 1786. Son inclination prononcée pour le dessin fut d’abord contrariée par son père, libraire qui préférait le négoce aux beaux-arts, mais qui cependant finit par cé-

  1. Il va bien plus loin, puisque, établissant une thèse générale, il s’écrie : « Pourquoi faut-il ne le musicien, toujours captif, ne se voie pas une fois libre à sa création, et ne recevrait-il pas ensuite les paroles qui exprimeront ses accords? Peut-on décider lequel des deux arts, de la poésie et de la musique, peut se prêter le plus aisément à cette servitude ! Enfin, pourquoi ne mettrait-on pas la musique en paroles, comme l’on met depuis longtemps les paroles en musique ! (Essai sur la musique, t. I, p. 848.)
  2. Idem, t. 8, p. 371, et t. I, p. 349.