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précieux au prince et à l’État. Il combattit en toute occasion les doctrines ultramontaines. Il appuya, contre le nonce du pape et l’évêque de Paris, la condamnation du livre de Mariana, et poursuivit, avec plus d’ardeur encore, celle de Bellarmin, malgré l’opposition de la cour de Rome. Le 19 juin 1604, dans une de ces occasions où le parlement contrariait les vues du conseil, le premier président adresse à Henri IV, qui ne lui en sut pas mauvais gré, ces paroles remarquables : « Si c’est désobéissance de bien servir, le parlement fait ordinairement cette faute ; et quand il trouve conflit entre la puissance absolue du roi et le bien de son service, il juge l’un préférable à l’autre, non par désobéissance, mais par son devoir, à la décharge de sa conscience.» Harlay n’aimait pas les jésuites ; dans une conversation avec le P. d’Aubigny, il lui donna clairement à entendre qu’il ne les croyait pas étrangers à l’attentat de Ravaillac. Suivant M. de Thon, il paraît que M. de Harlay savait beaucoup de particularités sur cet affreux événement, d’après la déposition de la Coman et de la marquise de Verneuil. Quelles étaient ces particularités ? C’est un secret que le silence de ce sage magistrat a laissé impénétrable pour la postérité. Christophe de Thon, ainsi qu’Achille de Harlay, avaient mis en vogue au palais la science profonde et la haute érudition ; on ne plaidait point devant eux qu’on ne citât force grec et latin, quelquefois même de l’hébreu et de l’arabe. Dans une mercuriale publique, Harlay parlait ainsi aux procureurs : « Procureurs, Homère vous apprendra votre devoir dans son admirable Iliade, libro decimo, et Eustathius scoliaste d’Homère sur ces vers...» Et il débitait ensuite une tirade de dix à douze vers en original. C’était la manie des orateurs les plus fameux de notre ancien barreau. Les magistrats de ces temps-là avaient un style et un langage qui nous paraissent aujourd’hui ridicules ; mais ils faisaient de grandes choses et nous ont laissé d’immortels souvenirs. Achille de Harlay se démit de la première présidence en 1611, et fut remplacé par Nicolas de Verdun. La vue et Poule commençaient à s’affaiblir en lui lorsqu’il se détermina à la retraite, qui ne fut retardée que par le refus de la régente de lui donner pour successeur quelqu’un de sa famille (voy. Thou Jacques-Auguste de). Il mourut le 25 octobre 1616, plein de jours et comblé de gloire. On a de ce grand magistrat une Coutume d’orléans, imprimée en 1585.

D-s.


HARLAY (Nicolas de). Voyez Sancy.


HARLAY (Achille de), baron de Sancy, évêque de St-Malo, second fils du surintendant, naquit à Paris en 1581. Il balança quelque temps entre l’église et la robe, et fit d’excellentes études analogues à ces deux états, sans négliger celle des belles-lettres. Il plaida quelques causes avec succès ; mais il finit par se vouer à l’état ecclésiastique. Suivant un abus alors fort commun, il possédait déjà, à l’âge de vingt ans, trois riches abbayes, et avait été nommé à l’évêché de Lavaur ; mais son frère ainé ayant été tué en 1601, au siège d’Ostende, il entra dans la carrière militaire, fit plusieurs campagnes en Italie et en Espagne, voyagea en Angleterre, en Flandre, en Hollande et en Allemagne. Au commencement de la régence de Marie de Médicis, le baron de Sancy fut nommé à l’ambassade de Constantinople, où Il s’acquit une grande considération par sa magnificence, ses talents, et la noble fermeté avec laquelle il soutint la dignité de sa mission. À la première audience que lui donna le Grand Seigneur, il refusa constamment de fléchir le genou devant le sultan, comme les autres ambassadeurs étaient dans l’usage de le faire, malgré les efforts des capigis pour l’y contraindre. Les chrétiens du faubourg de Péra trouvèrent en lui un puissant protecteur contre les intrigues des Maures chassés d’Espagne, qui voulaient qu’on les dépouillât de leurs privilèges et de leurs propriétés, ainsi qu’on l’avait fait à l’égard des juifs. Il sauva d’une mort certaine les missionnaires jésultes, accusés d’être les espions de l’Espagne, de vouloir attenter à la vie du Grand Seigneur, de professer le régicide, de baptiser les enfants des Turcs, de receler des esclaves chrétiens, et de faire abjurer le mahométisme aux renégats. Enfin, il employa ses grandes richesses à racheter plus de mille esclaves chrétiens et français. La part trop ouverte qu’il prit en 1617, après la mort du sultan Achmet, aux tentatives formées en faveur de l’usurpateur Mustapha contre le jeune Osman, son pupille et son neveu, lui attira de fâcheuses affaires, qui le déterminèrent à demander son rappel en 1619. Cette même année, il entra dans la congrégation de l’oratoire, où il acquit de la réputation par son talent pour la chaire. Le P. de Bérulle l’employa utilement à former plusieurs établissements, sur lesquels les grands revenus du P. de Sancy lui fournirent les moyens de répandre des bienfaits, alors très-nécessaires. Sa générosité ne se borna pas à ses confrères : il avait dépensé quatre mille écus dans l’affaire des jésuites de Constantinople ; et il donna une égale somme à ceux de France pour venir au secours de quelques-unes de leurs maisons mal dotées. En 1625, le P. de Bérulle le mit à la tête des douze prêtres de sa congrégation composant la chapelle de la reine d’Ang eterre, qui l’avait pris pour son confesseur. Après avoir inutilement lutté contre les intrigues des anglicans et la persécution du duc de Buckingham, le P. de Sancy revint en France l’année suivante avec ses confrères. Louis XIII lui ordonna d’accompagner le maréchal de Bassompierre, qu’il envoyait en ambassade à la cour de Londres, pour demander le rétablissement de la maison catholique de la reine, sa sœur, en vertu des traités faits entre les deux puissances ; mais leur mission fut courte et traversée par beaucoup de contradictions. Ils réussirent cependant à obtenir la li-