Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 17.djvu/646

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il eut même à se battre contre la Romana, si fameux plus tard pour avoir quitté l’armée de Napoléon, et dont à cette époque les dispositions n’étaient pas non plus très-favorables au conquérant. Enfin le traité de Tilsitt acheva de rendre stériles les efforts de Blücher et de Gruner, au moins pour l’instant. Mais ni l’un ni l’autre ne désespérèrent de la patrie. La Prusse alors sentit qu’il fallait non pas se résoudre tout de bon et pour jamais à l’esclavage, mais feindre la résignation et laisser passer l’orage, pour recommencer la lutte dans des circonstances plus favorables. Gruner doit être mis en première ligne de ceux qui conçurent ce profond dessein, et qui comprirent aussitôt les moyens et les conditions de succès. Il resta d’abord en Poméranie à Kolberg, comme président de la chambre intérimaire, qui plus tard fut transférée à Treptow. Une autre chambre à Stettin était de toutes façons sous l’influence française ; celle de Kolberg ou de Treptow au contraire agissait sous l’inspiration patriotique, ce qui se conçoit d’autant mieux, que là encore Gruner se trouvait avec Blücher, qui, commandant de la place de Kolberg, s’occupait d’en relever, d’en augmenter les fortifications. La désorganisation était alors dans tous les services : il fit face à tout, en quelque sorte sans argent et sans crédit, et ramena dans l’administration provinciale l’ordre et la régularité. Outre les attributions ordinaires de sa place, il avait encore celle de pourvoir aux subsistances et à la solde des 15 000 hommes acculés à la mer Baltique. Enfin il exerçait les fonctions de commissaire du commerce. La Poméranie entière lui doit en partie l’importance commerciale dont elle ne tarda pas à jouir. Appuyé du consul danois Schrœder, il fit naître ou grandir parmi ses administrés l’esprit de commerce, de spéculation, et donna le mouvement et la vie aux ports longtemps inutiles de cette contrée. Ces occupations le retinrent jusqu’à l’évacuation de la Poméranie par les Français et la translation de la chambre de Kolberg à Treptow, c’est-à-dire jusqu’en mars 1809. Il vint alors à Berlin et y fut nommé président de police. Son administration laissa des traces profondes : sévère, il s’attira pourtant l’amour et la confiance des citoyens, établit un ordre parfait et facilita des économies. En même temps il tenait l’œil ouvert sur les machinations du parti français : il avait des observateurs à la fois en Allemagne et en France. Bien qu’officiellement la Tugendbund eût été abolie, il hâta de toutes ses forces la propagation des principes sur lesquels elle était fondée. Prenant note des affiliés, de leurs ressources et en faisant souvent l’objet de ses rapports, il favorisait les achats d’armes et de poudre, les démarches occultes, les préparatifs de ceux qui songeaient à briser le joug français, et principalement ceux de son ami le major Schill. Nul doute que le commandant de Berlin Chassow ne fût de moitié dans le projet. Mais les conspirateurs ne réussirent pas complétement à donner le change aux partisans de la France. Schill, formellement dénoncé à l’ambassadeur français et hors d’état d’articuler la moindre défense devant des juges expéditifs autant que bien instruits, n’eut plus d’autre ressource que de précipiter la levée de boucliers par laquelle il avait compté venir au secours de l’Autriche et relever la Prusse. On sait le fâcheux résultat qu’eut cette noble tentative (voy. Schill). Napoléon, vainqueur à Wagram, dicta sur la cendre de Schill l’ordre d’écarter des affaires tous ceux qui avaient été ses amis. Le commandant Chassow tomba le premier. Ensuite vint le tour de Gruner (1811). Mais dans l’intervalle il avait reçu de nouvelles marques de confiance de Frédéric-Guillaume III ; et à la présidence de police de Berlin il joignit la direction d’une section séparée de la chancellerie d’État, ainsi que celle de la haute police, sous le contrôle du chancelier. Il ne faut pas en conclure que Gruner fût précisément ministre d’État : d’abord, il y avait, outre les établissements qui viennent d’être nommés, un département de la police générale, et ce département formait la quatrième section du ministère de l’intérieur. Gruner ne fut que peu de temps en possession de ces hautes fonctions. Soit ordres venus de l’ambassade française, soit inspiration spontanée, les ministres semblèrent bientôt désirer son éloignement, et il donna sa démission. Des admirateurs de Gruner ont cru que la cause vraie de cette disgrâce, c’est que par la supériorité de ses vues et de ses talents, par la hardiesse avec laquelle il tranchait dans le vif, pour arriver plus rapidement à la guérison ; par le neuf et l’inattendu de ses mesures trop souvent incomprises, il avait froissé beaucoup d’amours-propres, de routines et de susceptibilités. L’ambassade française, comme de raison, aurait envenimé de son mieux ces griefs ; et comme peu à peu le sentiment d’un péril imminent s’était effacé, on se serait privé de ses services. Mais cette disgrâce fut-elle réelle ? Blücher, qui avait été privé de la même manière du commandement de Kolberg, n’en avait pas moins une influence immense sur toutes les mesures militaires. Pourquoi Gruner n’aurait il point été dans le même cas ? Stein l’aimait et l’estimait. Il l’employa ostensiblement, tant que les circonstances le permirent, et secrètement après cela. Repoussé en apparence du service prussien, où Schlechtendahl et bientôt après Lecoq le remplacèrent dans la présidence de police, Gruner quitta publiquement la Prusse vers la fin de mars 1812, fort peu de temps après la signature du Concert intime entre Napoléon et Frédéric-Guillaume ; et semblant renoncer à toute intrigue et se mettre de lui-même sous la surveillance d’un État ami de la France, il se rendit en Bohême, où tour à tour il habita Prague, Friedland, Liebwerda sur les frontières de la Si-